Le 24 octobre dernier, Laura Veirs publiait un nouvel album. Intitulé My Echo, il comporte 10 pistes sous une jolie livrée rose.
La vie privée de la chanteuse – et plus spécifiquement ici son divorce – a inhabituellement été mise en avant dans la communication autour de ce nouvel opus. Il y a eu certes Tumble Bee en 2011, un recueil de chansons folk pour enfants qui résonnait clairement avec sa récente maternité, mais il s'agissait alors de reprises ; l'investissement émotionnel était différent et surtout indirect.
Album du divorce donc, mais avec un timing sensiblement décalé, puisque la séparation n'a été effective qu'après l'enregistrement (fin 2019) et a fortiori après l'écriture. Selon Laura Veirs, il montre qu'elle avait probablement anticipé avant d'en être elle-même consciente la désagrégation de son couple. C'est encore elle qui en parle le mieux :
My Echo c'est mon album “mes chansons savaient que j'allais divorcer avant que moi je le sache". Mon esprit conscient était en train d'essayer aussi fort que possible de garder ma famille unie, mais mon subconscient était en train de gérer les difficultés de ma vie maritale [...] Pendant que l'album terminait d'être mixé l'automne dernier, mon ex-mari/producteur Tucker Martine et moi avons décidé de partir sur des voies séparées. Nous avons formé une très bonne équipe musicalement pendant des années, mais nous luttions pour rester compatible dans notre mariage et dans notre vie de famille, et cette lutte est reflétée dans cet album. Dans ce nouvel ensemble de chansons j'imagine m'évader d'une sorte de prison ou d'une cage. Avançant en âge, les limites de la vie domestique, notre gouvernement oppressif et la menace de l'apocalypse pénètrent ces chansons. Dans ces morceaux mon cœur est avide de certitude et de permanence, mais aucune ne peut être trouvée. C'est un album à propos de la désintégration. Il révèle le travail de mon intuition d'artiste.
La chanteuse a toujours cultivé une mélancolie certaine, mais la tristesse est ici d'une autre nature. Vu le contexte, on ne peut s'empêcher de relever dans la plupart de ces nouvelles chansons des résonances très personnelles et prémonitoires. La plupart des paroles prennent une teinte douce-amère et la moindre déclaration apparaît comme en décalage par rapport aux sentiments réels.
Laura Veirs est une artiste que j'admire et dont je suis la carrière depuis un moment déjà. J'ai aussi eu la chance de la voir deux fois sur scène. Son oeuvre m'est donc très familière. Dès lors, je suis bien au fait qu'il est difficile de parler de sa musique sans rapidement convoquer des adjectifs tels que délicat, subtil, sensible, fragile... Et ce n'est pas cet album qui dérogera à la règle : l'atmosphère est volontairement intimiste, la voix est juste et posée, le tempo généralement sur un mode mineur, les mélodies limpides.
Une chose que j'affectionne chez Laura Veirs, c'est sa capacité à faire un pas de côté... comment dirais-je... un pas de côté conceptuel dans ses chansons. Un titre peut commencer comme un air folk plutôt traditionnel, puis au détour d'un renversement d'accord, de l'ajout d'un instrument, on de la structure du morceau qui se modifie insensiblement, on sort doucement de sa zone de confort, et on pénètre dans une autre dimension musicale entêtante et insolite.
Par exemple, la première chanson, Freedom Feeling, débute avec juste une voix et une guitare un peu lo-fi, puis cordes, clavier, batterie s'invitent dans la mélodie et nous font glisser sur un autre plan, délicieusement imprévisible.
Sur le très zen et presque dansant Another Space and Time le saxophone un peu décalé et le long final hypnotique nous amènent, catatoniques, dans un trip un peu hippie.
Turquoise Walls alterne couplets guitare folk et refrain limite électro et violon avec un surprenant naturel.
Dans le faussement dynamique Burn Too Bright (inspiré par le décès du musicien Richard Swift en 2018) met ses martèlements obstinés au service d'une rengaine têtue et consolante.
Enfin, Vapor's Trails mêlent les voix de Laura Veirs et de Jim James, en un fragile et fantomatique ensemble pour finir dans un court moment bruitiste aussi étouffé qu'inattendu.
Je ne rendrai pas compte en détail de tous les titres, mais tous apportent leur pierre à ce poétique et musical édifice.
C'est encore Tucker Martine qui produit l'album et on retrouve le soin ascétique qui caractérise son travail avec Laura Veirs : respect des textures, mais sans exagération, organique, mais sans dogmatisme, de l'espace, mais avec contenance, et toujours tout au service de la voix, laquelle est plus souvent qu'à son tour en apesanteur.
On l'aura compris, ce disque m'a conquis et me touche. Je l'écoute quotidiennement depuis que j'ai pu mettre la main dessus. C'est certainement l'album de Laura Veirs le plus homogène dans ses qualités depuis July Flame (2010), voire depuis Saltbreakers (2007).
Je n'aurais que deux regrets minimes :
- il est peut-être un peu court (34 minutes)
- j'aurais aimé y voir figurer le titre isolé I Was a Fool publié sur internet le 14 février 2020, histoire d'en avoir une trace physique (même si je comprend la logique de l'avoir gardé à part... il détonnerait par son aspect improvisé et artisanal au milieu d'un album très travaillé). Si vous voulez y jeter une oreille, c'est par ici :
Commentaires
Enregistrer un commentaire