Son & lumière de l'Egypte presque pas tout à fait ancienne


En avril 1993, j'ai fait un voyage en Egypte. Un parcours somme toute très touristique : deux semaines de visite guidée, des destinations classiques (pyramides, musée du Caire, Karnak/Louxor, Vallée des Rois, Assouan, Abou Simbel, et d'autres encore). Très joli, je recommande (si on en a la possibilité).

Parmi les activités disponibles, il était aussi possible d'assister le soir à des spectacles du type « son & lumière ». Trois sites proposaient cette option : les pyramides de Gizeh (et le Sphinx), le temple de Karnak et le temple de Philae. J'ai pu assister aux trois représentations (en français). Si la dramaturgie reposaient sur des éléments communs et prévisibles (vous aurez deviné : du son et de la lumière), chaque site présentait quelques caractéristiques propres.

Sur le plateau de Gizeh, la perspective était la plus large et la plus belle, mais le public était entièrement statique : on restait assis dans des gradins pendant toute la durée du spectacle. A Karnak, le public était amené à suivre un parcours à travers le temple ; on se déplaçait ainsi de pièce en pièce jusqu'à la dernière partie du spectacle auquel on assistait assis au bord du lac sacré jouxtant le monumental édifice. A Philae, si le public se déplaçait également au milieu des ruines, c'est aussi tout l'environnement même du site qui participait au charme particulier de la représentation ; le temple étant en effet situé sur une petite île du lac Nasser, on s'y rendait par bateau comme à un singulier rendez-vous nocturne. Ces particularités valaient à mon avis d'essayer de voir les trois spectacles.

En guise de souvenirs (à côté des vrais faux morceaux de papyrus peints, des statuettes presque pas authentiques, des exemplaires délavés des livres de Wallis Budge, des bijoux, des t-shirts), j'ai acheté les enregistrements de la bande sonore de ces trois spectacles. Et vu l'époque, ces enregistrements n'étaient bien sûr disponibles alors que sur cassettes (des 33 tours ont aussi existé, au moins pour les deux premiers spectacles, mais je n'en ai pas vus).


Une fois l'objet en main, une des premières choses qu'on remarquera sans doute, c'est le sens de lecture de l'insert. Un boitier de cassette s'ouvre généralement comme un livre. Si vous le tenez face à vous, avec l'image et le texte de l'insert bien visible, l'ouverture se présente à droite. Ici ça se passe dans l'autre sens, l'ouverture est à gauche. C'est très probablement du au fait que ces cassettes sont produites dans un pays de langue arabe, où l'on lit et écrit de droite à gauche, et où les livres s'ouvrent par la gauche – un peu comme si on commençait par la fin un livre écrit en français. Et donc la première fois, quand machinalement on tient le boîtier comme on le ferait d'ordinaire, on se retrouve avec le texte à l'envers ; il faut quelques secondes pour réaliser... Bizarrement, l'enregistrement du spectacle de Karnak échappe à cette configuration. Le sens du texte et l'ouverture du boîtier sont conformes avec l'orientation occidentale.

Chaque spectacle tient sur une cassette et dure à peu près une heure. Tous ces enregistrements sont réalisés par une entreprise (gouvernementale) appelée Sono Cairo. Ils sont en stéréo et on notera aussi la présence du logo Dolby. Il n'y a aucune indication du type de bande utilisée, mais un examen visuel laisse supposer qu'il s'agit de bande de type I. Globalement, le son n'est pas fabuleux, mais c'est tout à fait écoutable. Le texte dominant la plupart du temps la musique, on aura ici des exigences proportionnelles. De manière amusante, et parce qu'il s'agit de la version française bien sûr, la plupart des voix nous sont familières. On jurerait les avoir déjà entendues quelque part, voix off d'un documentaire, doublage de dessin animé (à peu près sûr que Jean Topart fait partie de l'aventure), etc...

En dehors de ces détails techniques, l'aspect de ces trois cassettes n'est pas très homogène. S'agissant du même type de spectacle, de la même maison de production, on aurait pu imaginer une ambition de les inscrire comme des sortes de chapitres d'une série, des parties d'un ensemble, et de les apparenter visuellement. Il n'en est rien (à part peut-être les étiquettes collées sur les cassettes des deux premières parties qui présentent une sorte de cousinage). Par le style des illustrations, par la typographie, chaque insert est unique.

1/ Son Et Lumière – Pyramides Et Sphinx / Ici a commencé l'histoire (78039-501).

L'illustration du boîtier présente un dessin assez sommaire d'une sorte d'inscription hiéroglyphique ; rien de bien attirant. Selon les informations disponibles dans l'insert, le texte est de Gaston Bonheur, la musique de Georges Delerue et la mise en scène de Gaston Papeloux. Le nom du compositeur est probablement le plus connu des trois, Delerue s'étant en effet rendu célèbre par ses nombreuses musiques de film, mais aussi, on le voit, les accompagnements musicaux de diverses performances scéniques. Ìl semble que ses travaux égyptiens datent du début des années 60. La cassette que je possède porte quant à elle la date de 1978 sur l'étiquette de la première face. Quand je découvre le spectacle au début des années 90, il s'agit donc déjà d'une oeuvre assez ancienne... Pour ne pas dire démodée...

Musicalement, on est proche du registre de la musique de péplum. Il y a un côté à la fois « philosophe sur la montagne énonçant la sagesse ultime » et « guerrier en gloire sur le champs de bataille » de même que « multitude de figurants acclamant le souverain »... C'est peut-être à cause des cuivres... Et cette impression est confortée par la déclamation du texte, excessivement solennelle et théâtrale. Ici, on articule bien, on parle de « civilisâtion ».

Si vous êtes familier d'un film comme Les Dix commandements (Cecil B. DeMille, 1956 ; pas une époque si lointaine de ces enregistrements quand on y pense), vous retrouverez la même ambiance sonore. Pour un peu, on croirait entendre Charlton Heston, Yul Brynner ou Cedric Hardwicke (ou plutôt leurs doubleurs français : Jean Davy, Georges Aminel et Richard Francoeur).

En outre, vu le décor qui ne manque pas de grandeur, le ton de ces envolées philosophico-historiques n'est finalement pas choquant. Le texte se veut d'abord informatif et évocateur d'une certaine image touristique attendue (et un peu fantasmée) de l'Egypte ; il est à prendre au premier degré. L'antiquité est un sujet sérieux, elle participe du roman national et fait entrer des devises.

Toutefois, quand on n'a plus les ruines devant soi, dans le décor tout différent de son salon européen du 21èmesiècle, il me faut bien avouer que tout ceci sonne délicieusement kitch, ce qui n'est pas  rédhibitoire, loin de là. Ce grand guignol sans une once de second degré est involontairement plutôt amusant. Bien sûr, le souvenir du spectacle, la nostalgie du voyage, joue beaucoup dans l'indulgence qu'on peut éprouver devant ces enregistrements que quiconque pourrait trouver par ailleurs plutôt désuets.

Le contenu du texte brosse à grands traits l'histoire de l'Egypte ancienne, y compris sa redécouverte à partir de Champollion, ainsi que quelques éléments les plus marquants de sa culture (comme le culte solaire), tout en se focalisant bien sûr sur les monuments du site et les pharaons de la 4èmedynastie. Déconnecté du décor, et à condition d'avoir quelques rudiments sur les sujets traités, cela reste tout de même un ensemble cohérent et que l'on peut suivre sans être perdu. 

2/ SON ET LUMIERE – TEMPLES DE KARNAK / THEBES AUX CENT PORTES (82085-901)

L'illustration du boîtier semble avoir fait l'objet de recherches esthétiques plus poussées. Elle a visiblement été élaborée un peu plus professionnellement que le petit dessin de la cassette précédente. Des sphinx colorés, des silhouettes de colonnes et un genre de... cible ? A moins que ce ne soit une représentation stylisée du soleil (sans doute plus probable) ? Pas de quoi tomber en pâmoison, mais on saluera l'effort.

Les noms des auteur, compositeur et metteur en scène sont rigoureusement les mêmes que pour la cassette des pyramides. Quant à la date de fabrication, il s'agit de 1982.

Vu l'identité des concepteurs du spectacle, on ne s'étonnera pas de retrouver globalement ici les mêmes caractéristiques musicales, le même ton dans la diction, la même ambiance de péplum.

Les sujets abordés sont dans les grandes lignes assez proches de ce qui a déjà été vus (histoire et culture de l'Egypte ancienne), mais tournent aussi bien entendu davantage autour du site de Karnak. Temples et religion obligent, on trouve aussi un petit côté mystique supplémentaire : le mystère de la création, la figure divine, le nature spécifique du sanctuaire,... En outre, on constatera une relative complémentarité entre les deux spectacles pour des raisons logiques quand on considère les sites en question : la période dite de l'Ancien Empire est favorisée à Gizeh, tandis que le Nouvel Empire s'offre la part du lion à Karnak.

3/ SON & LUMIERE – Temples de Philae sauvés des eaux du Nil (87110-501).

Cette dernière illustration de boîtier (une photo floue du kiosque de Trajan, éclairé le soir) ne changera pas la donne quant à l'esthétique généralement peu ambitieuse et globalement médiocre de ces inserts. Pour ce qui est des responsables du projet, on constate toutefois de petits changements : à côté de l'inamovible Georges Delerue, on trouve cette fois André Castelot (texte) et Pierre Arnaud (mise en scène – je suppose qu'il s'agit de Pierre-Arnaud de Chassy-Poulay). Enfin, si on ne dispose pas de date de fabrication, les références explicites du texte au sauvetage des monuments de Basse-Nubie à partir de la fin des années 60 permet une approximation relative : le temple de Philae ayant été déplacé entre 1974 et 1976, on se trouve forcément après cette date.

La modification de l'équipe créative se reflète dans l'enregistrement. La musique garde une partie de ses accents grandiloquents/kitch déjà évoqués, mais sur un mode mineur. Si Karnak est un temple colossal et aussi une capitale d'Empire pleine de foules et de bruits et de fêtes gigantesques, Philae est de dimension plus modeste, avec une atmosphère beaucoup plus intime, voire occulte. Ici les prêtresses murmurent, les pharaons se déplacent à pas feutrés. Enfin, la dramaturgie est quelque peu bousculée : le déroulement du spectacle suit un cadre défini par le dialogue entre le Nil et la déesse Isis. Ce sont leurs échanges qui font progresser le récit et amènent l'exposition des différents sujets : les parties du temple, les légendes entourant les personnages d'Isis et d'Osiris, les rituels, le phénomène de la crue du fleuve, l'histoire du site enfin avec en point d'orgue le démontage et le remontage du temple.


Etrange idée sans doute que j'ai eue d'entamer ce blog que je voulais consacrer à la musique par des enregistrements qui sont finalement moins musicaux que théâtraux. Le hasard a voulu que, cherchant quelques vieilles cassettes, je sois retombé d'abord sur celles-ci. Me disant que ce ne devait pas être des objets très courants en ces contrées numériques, 27 ans après leur achat, probablement entre 45 ou 50, voire peut-être davantage, après leur réalisation, pourquoi alors ne pas laisser une petite trace de ceux-ci pour un lecteur curieux égaré.

Pour le peu que j'en sais, il semblerait que ces bandes-sons soient encore utilisées de nos jours pour animer les mêmes spectacles touristiques. Je trouve cette longévité amusante et un peu interpellante. A mes yeux, comme je l'ai dit, ces enregistrements sonnent incroyablement démodés, surtout les arrangements, et je me demande si un public contemporain n'apprécierait pas une approche plus moderne. Déjà qu'à l'époque où je les avais découverts, ils m'apparaissaient démodés, que dire aujourd'hui ? Mais peut-être est-ce justement leur ancienneté qui en font un objet sonore très particulier et digne d'être conservé contre toute apparente logique générationnelle ? Et chaque année qui passe assoit ainsi leur statut d'oeuvres-clés de cet étrange patrimoine audio-visuel...

Je referai très probablement d'autres articles du genre « vieilleries retrouvées / enregistrements insolites » ; c'est amusant à écouter / décrire / commenter.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.


Pour les plus curieux, références discogs :

https://www.discogs.com/Georges-Delerue-Halim-El-Dabe-Here-History-Began/master/186020

https://www.discogs.com/Gaston-Bonheur-Georges-Delerue-Temples-De-Karnak-Thebes-Aux-Cent-Portes-Son-Et-Lumiere/master/372315

https://www.discogs.com/Andr%C3%A9-Castelot-Temples-De-Philae-Son-Lumi%C3%A8re/release/9556481

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