Tom Petty et le retour des fleurs sauvages


Je ne me qualifierais pas personnellement de grand spécialiste de la vie et de l'oeuvre du regretté Tom Petty. Je ne l'ai pas encore écouté suffisamment pour prétendre à une telle expertise. Mon exploration de sa discographie est en effet très, très lente. Peut-être reviendrai-je plus en détail sur tout ceci, si l'occasion se présente. Aujourd'hui, je vais surtout parler d'un seul de ses albums.

Je me souviens de façon assez imprécise de l'époque où Wildflowers est sorti ; je ne possédais alors que la compilation Greatest Hits sortie l'année précédente (et propulsée par le fabuleux titre Mary Jane's Last Dance). Fin 1994, quand je découvre donc ce nouvel opus, dans sa pochette couleur carton / papier craft plutôt spartiate, je crois m'être surtout dit : « tiens... ce type ne bossait pas avec un groupe appelé Heartbreakers ? Pourquoi leur nom n'est-il pas sur la pochette ? Ou alors, c'est comme pour le E Street Band de Springsteen, parfois ils sont là, parfois non ? » et puis j'ai continué mon chemin, absorbé sans doute par de puissantes réflexions sur le projet de réunion entre Jimmy Page et Robert Plant (encore un sujet pour une autre histoire...)

Mais la réputation de ce disque comme perle folk-rock et album-clé de la discographie de Tom Petty n'a fait que croître et une bonne dizaine d'années plus tard, poussé par la curiosité, j'ai sauté le pas et je me le suis enfin procuré. Et comme j'ai eu raison...


Fast-forward. 2020. L'album va fêter son quart de siècle (à peu près) avec une nouvelle édition augmentée de type « super deluxe » (ou, comme je préfère appeler ce genre de démarche, « mise en valeur du patrimoine ») appelée Wildflowers and All the Rest. Ce fut l'occasion de découvrir que les sessions d'enregistrements originales, étalées entre juillet 1992 et avril 1994, débouchèrent sur 25 titres, potentiellement de quoi produire un double-album. Comme il arrive souvent lorsqu'il s'agit de prendre une décision audacieuse, la maison de disque (Warner en l'occurrence) recula ; la tracklist fut donc réduite à une quinzaine de chansons sur une seule galette, ce qui reste généreux. La plupart de titres écartés ne seront pas perdus : certains paraîtront sur le disque suivant de Tom Petty, la musique du film She's the One (1996), mais la nouvelle édition est enfin l'occasion de remettre tout au même endroit, un peu tel que Tom Petty l'avait probablement voulu, oserait-on presque dire...


Je passe sur les versions les plus complètes (et les plus chères) de Wildflowers and All the Rest, truffées de démos, lives, etc... pour ne parler que de celle que j'ai, la plus modeste édition 2 CD's : un disque avec l'album original remasterisé, un disque avec 10 titres supplémentaires. Parmi ces derniers, ceux qui avaient éventuellement été « recyclés » dans d'autres projets sont repris ici dans des versions inédites, ce qui évite les doublons et ajoute à l'intérêt de la démarche.

Un point sur la remasterisation... J'avoue qu'à mes oreilles, la différence n'est pas frappante, et d'ailleurs pourquoi le serait-elle ? Pour Wildflowers, comme pour à peu près tous les CD sortis à partir de années 90, la remasterisation n'apporte généralement pas grand chose, les technologies numériques étant globalement au point. Ce n'est que pour les premiers CD, fabriqués dans les années 80, souvent trop vite ficelés à partir de masters perfectibles, qu'une telle sorte de restauration a pu parfois être nécessaire. Bref, rien de renversant ici ; le son de l'album de 1994 était déjà très bien, et c'est encore le cas pour celui de 2020.


La première fois que j'ai écouté Wildflowers and All the Rest, je l'ai fait dans l'ordre, comme un bon citoyen, en commençant par l'album original.

Je ne l'avais plus passé depuis quelques temps cette année, mais je me suis rapidement retrouvé en terrain familier tant il est mélodiquement généreux, accueillant et captivant. On ne dira jamais à assez à quel point de disque regorge de bonnes chansons. Tom Petty sembait à ce moment dans une période créative particulièrement riche et inspirée et les tubes en puissance se succèdent à un rythme soutenu. A côté de l'un ou l'autre rock solide (You Wreck Me) ou l'une ou l'autre ballade paresseuse (Only a Broken Heart), l'album n'est pas avare de moments mid-tempo faussement décontracté, mais bien plutôt traversés d'une tension contenue (Time to Move OnYou Don't Know How It FeelsTo Find a Friend et Crawling Back to You), un exercice qui semble aussi aisé à Tom Petty qu'il est susceptible chez moi de déclencher émotions et introspections vertigineuses.

D'ordinaire l'écoute du rock en langue anglaise ne me trouve pas particulièrement attentif aux paroles ; j'en aime plus le son que le sens. Il arrive toutefois que ce dernier, lorsque la forme est propice, que le bon mot tombe sur le bon accord, atteigne le seuil de ma conscience. C'est ce qu'il se produit ici, et je récolte, captivé, ces bouts de texte, autant de pépites poétiques, s'adressant à moi comme elles pourraient toucher tout le monde...

You don't know how it feels to be me

[...]

People come, people go,

Some grow young, some grow cold,

I woke up in between

A memory and a dream


It's time to move on, time to get going

What lies ahead, I have no way of knowing

But under my feet, baby, grass is growing

It's time to move on, it's time to get going


Tonight we sail, on a radio song

[...]

Rescue me, should I go down

If I dig too deep, if I stay too long


It's good to be king and have your own way

Get a feeling of peace at the end of the day

[...]

It's good to be king, whatever it pays

Excuse me if I have some place in my mind

Where I go time to time


What would I give, to start all over again

To clean up my mistakes


Was it something you could picture ?

But never could quite touch ?


Maybe if I tried, I could turn the other cheek

Maybe, but how do I have to be


And the days went by like paper in the wind

Everything changed, then changed again


I'm so tired of being tired

Sure as night will follow day

Most thing I worry about

Never happen anyway


Des histoires de types perdus, des bonhommes qui essayent, des gars pour qui ça marche pas, mais qui continuent parce que parfois, parfois quand on fait vraiment bien attention, on trouve quand même un peu de beauté dans ce monde absurde.

Les musiciens, Tom Petty le premier, mais aussi son indétachable collaborateur et guitariste Mike Campbell, sont appliqués et diablement cohérents d'un bout à l'autre. La texture de cet album est intime et chaleureuse, organique et proche. Et si guitares/batterie/basse dominent, piano, orgue, ou section de cordes font de très heureuses incursions.

Oserais-je dire qu'il y a tout de même un ou deux titres qui selon moi ne sont pas au niveau du reste ? Oui, certes, affirmatif, pensez bien, sur 15 plages ! House in the Woods et Wake Up Time sont moins inspirés, plus oubliables, mais n'empêchent pas de conclure qu'on a là un grand, un très grand album d'americana.


Ensuite, j'ai écouté le second disque, celui rassemblant les nouveau titres. Dans l'ensemble, rien ne vient modifier la perception très positive que j'ai de Wildflowers. L'ambiance est la même et le contraire serait étonnant puisque c'est la même équipe qui est au commande. Mais une fois passée le premier moment de la découverte, une fois arrivé au bout des 10 plages disponibles, je dois bien avouer qu'il y avait une petit impression de manque, une absence d'envie d'y replonger tout de suite... et pourtant, diantre, 10 inédits de Tom Petty, issus de ses sessions parmi les plus admirées, il devrait se passer quelque chose... Le fait est que, à la première écoute, ce second disque manque de titres forts, de « tubes » si l'on veut, de chansons de la trempe de ce qu'on trouve de plus mémorable sur l'album de 1994, alors que paradoxalement je ne peux pas non plus mettre le doigt sur l'un ou l'autre défaut manifeste dans ces chansons.

Ma première conclusion a été de me dire que c'était probablement normal : après tout, au moment de décider pour un album simple plutôt qu'un album double, ce sont les meilleurs chansons qu'on a très certainement sélectionnées pour la publication. Dès lors, le second disque ne peut proposer ici que du second choix ; un terme peu flatteur dans un contexte artistique, mais on voit l'idée...

Toutefois, ma seconde conclusion est venue tempérer la première. L'écoute de la musique est aussi affaire de ressenti psychologique, un domaine où la subjectivités joue un rôle important. Comparer des chansons extrêmement familières, écoutées cent fois, à de nouvelles venues est un exercice délicat, alors qu'on sait que parfois un album prend son temps pour faire découvrir ses qualités (ce que les puristes appellent un grower). L'attente est aussi la pire ennemie d'une nouvelle chanson ; Wildflowers n'étant pas n'importe quel disque, le niveau à atteindre est involontairement placé très (trop ?) haut, générant en retour des déceptions injustes.



Afin de brouiller les cartes, j'ai donc dans un troisième temps « ripé » le contenue des deux disques, balancé tout dans la même playlist et écouté l'ensemble en lecture aléatoire, mélangeant allègrement titres connus et moins connus à travers une démarche à vocation plus équitable. Et à partir de ce moment, tout passait comme une lettre à la poste, les inédits ne venant en aucun cas faire baisser le niveau ou altérer la perception très positive de l'album, certes devenu bien plus long. En outre, les nouveaux morceaux gagnaient à la réécoute, dévoilaient leurs qualités, venaient étoffer les bons moment de l'écoute. Hope You Never, Climb That Hill Blues, Harry GreenSomething Could Happen et California sont définitivement entrées dans le haut du panier.

Au final, que ce soit sur un ou deux disques, Wildflowers est et restera une pierre angulaire de la discographie de Tom Petty et de la musique populaire américaine récente. A chacun de voir s'il préfèrera une expérience plus compacte, allant droit à l'essentiel, ou s'il penchera pour un voyage plus long, apaisant, s'autorisant des incartades, des étapes futiles, des respirations qui dilatent le temps et l'espace, qui changent doucement la perspective sur une oeuvre résolument magistrale.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

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