Le jazz, tout le monde le sait, ça ne ressemble à rien, on dirait un type qui souffle au hasard dans un saxophone, ou qui tape sur son piano avec un marteau, une musique prétendument intellectuelle pour snobs. Voilà, c'est dit, c'était mon avis sur le jazz.
A part Les Aristochats, bien entendu. Les Aristochats sont au-dessus de tout ça.
Je vous ai dit que j'étais un grand fan de Mark Knopfler ? Dans une de ses vieilles interviews, alors qu'on lui demandait quels guitaristes il aimait écouter, il explique, après avoir déjà cité quelques noms : « mais le seul que j'écoute vraiment, c'est Django Reinhardt, il est à des kilomètres devant tous les autres ». Dans ma grande naïveté, j'ai été un peu interloqué de lire ça à l'époque. Un artiste rock qui cite un nom venu du jazz ? Mais ça n'a rien à voir ! Toutefois, le respect dû à l'avis d'un grand musicien l'a finalement emporté : cette mention de Django Reinhardt a titillé ma curiosité, alors il fallait que je lui donne sa chance. Une première prospection m'a laissé très perplexe face à l'abondance de compilations existantes, parues sous une multitude de labels plus ou moins obscurs, avec un nombre de disques variable, à toutes sortes de prix (parfois incompréhensibles) et au contenu chaotique. Que choisir ? Comment identifier les morceaux incontournables ? Diantre, que certaines discographies semblent parfois compliquées... Comme ça se présentait, Django, toi et moi, ce ne serait pas demain la veille qu'on se parlerait.
Et puis, un jour, une opportunité s'est présentée. Pour parer au déclin constant de leurs ventes, les grands titres de la presse écrite ont tenté (et tentent toujours) d'attirer et de fidéliser de nouveaux lecteurs en proposant des produits sans beaucoup de lien avec leur activité principale, des articles souvent susceptibles d'être collectionnés, disponibles à l'achat d'un numéro du journal ou, soyons fou, en même temps qu'un abonnement. Bien des fois, ce furent des livres (romans dans le domaine public, bandes dessinées déjà populaires, des essais aussi pourquoi pas...), mais pas toujours, et un jour en 2006, un journal proposa de découvrir les grandes noms du jazz à travers une série de 20 CD, au rythme d'un disque par semaine. Les labels Blue Note et Verve étant de la partie, ça n'avait pas l'air mal du tout et ça s'appelait « The Jazz Collection », tout simplement. On retrouvait la plupart des personnalités prévisibles de ce genre d'exercice, Miles Davis, Louis Armstrong, Duke Ellington,... et enfin Django Reinhardt ! Ce dernier occupant le numéro 20 dans la série, j'ai donc du attendre quelques semaines, surveillant avec attention quel artiste était en vente en librairie à chaque fois, avant de finalement acquérir le disque convoité. J'allais pouvoir tester Django Reinhardt, à un tarif contenu, sous la forme d'une compilation constituée – on me le promettait – par un spécialiste.
Peut-être avez-vous le même chez vous ! |
Malgré une présentation un peu générique, histoire de se fondre dans l'identité visuelle de la série, ce CD a tout de même l'air intéressant : un livret plutôt épais accompagne le disque et présente des textes d'introduction, courte biographie de Django Reinhardt, commentaire pour chaque titre proposé (avec dates et noms des musiciens impliqués). On trouvera encore une brève frise chronologique de l'histoire du jazz pour situer l'artiste vedette, un lexique du jazz (swing, bop, etc...) et des photos d'archives où je trouve d'ailleurs que Django a souvent le même air que l'acteur David Suchet quand il interprète Hercule Poirot. La sélection, comme le rédactionnel, sont dus aux bons soins d'un certain Marc Van den Hoof, en fait un animateur radio flamand, mais aussi un auteur d'articles et de livres sur le jazz. C'est clairement un travail soignée, davantage que ne le laisserait deviner son positionnement commercial, du moins à mes yeux. 17 morceaux composent le programme et ils sont, apparemment organisés de façon chronologique.
D'un point de vue purement technique, je devine que la plus grande partie des morceaux ici présents, surtout les plus anciens (on parle des années 30), n'existent que sous la forme de supports plus ou moins dégradés, comme des 78 tours d'époque par exemple. Compte tenu de ces limites, et sans bien sûr retrouver la netteté généralement associée au CD, la qualité sonore est tout de même remarquable. On relève bien un léger bruit de fond, de rares saturations, mais rien qui ne fait obstacle au plaisir d'écoute. Ces petites imperfections, témoignages du temps qui passe, ajoutent comme un soupçon de pittoresque à ces vénérables enregistrements. Bref, sans aller jusqu'à dire, qu'on a l'impression que Django Reinhardt est « à côté de nous », c'est bon ; les différents instruments sont parfaitement discernables, et la guitare du soliste, surtout compte tenu des possibilités d'amplification d'alors, est clairement audible. Pas de désagrément à craindre de ce côté.
Plein de choses à lire... |
Si je pensais au jazz comme à une musique le plus souvent froide et cérébrale, force est de constater que l'on fait tout ici pour me détromper. C'est ici très organique et passionnée, presque fun et festif, fait pour être joué dans un club, si possible moite et mal famé. Mais au-delà de l'ambiance, c'est plutôt chouette en fait. Il y a des mélodies. Il y a un... groove ? Il y a de une âme insufflée dans l'interprétation. Et il y a un vrai savoir-faire.
Les premières plages donnent à entendre quelques airs plutôt « swing » et rapides (Dinah, The Sheik of Araby, Crazy Rhythm,...), fait pour danser, ou a minima battre la mesure avec le pied, claquer des doigts. L'énergie déployée est réelle, le rythme soutenu. Des morceaux plus lents, plus « blues » dirais-je, sont aussi de la partie (Stardust, Blue Drag, Out of Nowhere,...) et ajoute une texture plus mélancolique. La virtuosité du guitariste est réelle, capable de fulgurances rapides comme de plans plus posés. Il sait aussi se mettre au service d'autres solistes, saxophone, trompette ou encore violon (celui du compère Stéphane Grappelli). Même en rythmique, sa guitare sait happer l'auditeur pour ne plus le lâcher avant la fin. Le son de son instrument est intéressant, puisant tantôt dans un univers sonore manouche plein et riche, tantôt capable de distiller en solo des chapelets des petits aiguillons, percutants ou émouvants, selon l'humeur. Django Reinhardt est, si l'on prend la peine de l'écouter, un musicien avec un toucher très intéressant, plein de possibilités, surtout si l'on tient compte de l'aspect peu perfectionné des instruments à l'époque. Les rythmiques sont parfois furieuses et les solos capables d'une touchante délicatesse, bref un guitariste complet.
La suite du programme voit la configuration des musiciens autour de lui évoluer – une clarinette apparaît (Django's Dream) – ou l'inspiration se moderniser : notre bonhomme s'intéresse au « be-bop » et à la guitare électrique, une phase tout aussi passionnante, avec des tempos rapides (Fine and Dandy), ou plus lents, propices à des titres introspectifs (Nuages, I Cover the Waterfront).
Lorsque le disque se termine, on ressent comme un goût de trop peu, ou plutôt on constate que l'on s'est ouvert l'appétit. Si on ressort de l'expérience avec l'envie d'en vouloir encore, c'est peut-être la preuve que la sélection des plages a été bien faite. Les informations disponibles dans le livret montrent en tout cas qu'elle offre un panorama, certes bref, mais suffisamment représentatif, à même de bien situer et percevoir l'évolution du guitariste.
Mort à 43 ans, Django Reinhardt a finalement eu une carrière plutôt courte, un peu plus de 20 années, grosso modo. Il n'empêche que ça lui aura suffit pour laisser une marque durable dans le jazz européen et dans l'histoire de la guitare. A mon échelle, la recommandation de Mark Knopfler n'aura pas été inutile ; j'ai découvert un artiste passionnant avec le désir d'en apprendre davantage. J'ai surtout surmonté mes réticences devant tout un genre musical à découvrir. Je crois profondément au concept de porte d'entrée, de passerelle en art, que ce soit la peinture, la littérature, la musique,... Les choses ne s'assimilent pas forcément tout seule et c'est une oeuvre particulière, celle qui arrive au bon moment, au bon endroit, qui fait que tout d'un coup, tout s'emboîte et les choses prennent du sens. Django Reinhardt aura été pour moi ce passeur vis-à-vis du jazz.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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