Voilà un groupe que je connaissais sans vraiment connaître. J'en avais déjà entendu le nom, on me l'avait il y a un temps décrit comme un groupe de « gros rock qui tache », et bien sûr j'avais une fois ou deux entendu leur grand tube Seven Nation Army. Et c'était à peu près tout.
Au delà de ces quelques éléments déjà fascinants (du rock qui tache ? Et ça se lave en machine?), l'esthétique développée par le groupe (basée sur un ensemble limité de couleurs et sur des mises en scène photographiques manquant totalement de naturel), la formation en duo aussi (Jack & Meg White) qui n'est pas si courante, continuaient d'entretenir chez moi une forme de curiosité.
J'en étais de ces réflexions quand The White Stripes s'est séparé. Je laisse aux spécialistes le soin de déterminer si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais à mes yeux d'explorateur mélomane, ça voulait au moins dire que je pouvais envisager à présent une oeuvre à peu près achevée. C'est toujours plus facile de s'y retrouver, on sait quand ça commence on sait quand ça finit. J'aime bien quand les choses sont bien rangées... Et si par le plus grand des hasards, une compilation de leurs oeuvres se faisait jour, elle ne serait pas rendue obsolète par la sortie d'un nouvel album.
Quoi qu'il en soit, les personnes à la manœuvre ont pris leur temps. Il s'est en effet passé plus d'une douzaine d'années entre la séparation et la présente anthologie. Je suppose qu'il n'y avait pas d'urgence, que ce n'était pas un projet prioritaire, puis que finalement quelqu'un a dû se dire « pourquoi pas » ? En outre assembler un « best of » de ce genre n'a pas du représenter un labeur considérable, une démarche plutôt compatible avec les nouvelles conditions de travail imposées par cette étrange année 2020. Toutefois, je ne sais pas toute l'histoire, je vous livre ces réflexions comme elles me viennent.
Quoi qu'il en soit encore, l'objet final entre mes mains est plutôt réalisé sans fioriture aucune. Un CD, dans un boitier très standard, un livret très pauvre avec quelques photos et le minimum d'informations légales. C'est presque gênant en fait, tant il n'y a littéralement aucune façon de savoir ici d'où est issu chaque titre, quand il a été enregistré,... Aucun commentaire, aucune explication, aucune présentation de qui est qui et qui a fait quoi... Aucun de ces petits éléments qui pourraient être les premiers points de départ vers l'envie d'en découvrir davantage. Est-ce de la paresse ? Est-ce mûrement réfléchi, comme si la priorité (et même l'exclusivité) était donnée à la musique ? Peut-être...
En tout cas, pour le contenu, on est gâté : la quantité de musique gravée ici vient tutoyer les limites techniques du support (80 minutes). Dit vulgairement, ce CD est plein à craquer au point qu'on n'aurait pas pu y glisser une chanson de plus. Après quelques recherches sur la discographie du groupe (puisqu'il faut faire soi-même le travail de l'éditeur), on constatera que tous les albums sont relativement bien représentés. Il y a 26 plages au total, si on écarte les 2 « non-album singles », ça nous fait 4 titres de The White Stripes (1999), 5 de De Stijl (2000), 4 de White Blood Cells (2001), 4 de Eléphant (2003), 4 de Get Behind Me Satan (2005) et 3 de Inky Thump (2007). Plutôt une bonne répartition à mon avis, mais la répartition n'est pas tout : les succès du groupe, les « singles » extraits des albums, les tubes que vous aurez peut-être entendus à la radio sont là aussi. Cela dit, les White Stripes semblent avoir une discographie plutôt homogène, sans album trop faible pour faire baisser le niveau de l'ensemble, ce qui rend la sélection des titres de cette compilation homogène elle aussi, forcément qualitative (les meilleurs chansons) sans sacrifier à la représentativité (un peu de tout).
Alors, ça donne quoi, The White Stripes ? Une configuration uniquement basée sur un ensemble batterie/guitare/voix impose nécessairement une certaine couleur aux enregistrements, surtout que les apports de la post-production ont l'air minimaux (du moins au début, Jack White semblant étendre à chaque disque l'éventail des instruments qu'il utilise). On est donc confronté à un rock assez brut, d'un abord à première vue peu sophistiqué. Toutefois il ne faudrait pas conclure qu'il s'agit d'une musique basique ou simple ou même inéduquée. Très vite on se rend compte que les sources d'inspiration punk, garage rock, mais aussi blues ou psyché ont été parfaitement bien assimilées : Jack White, principale force créatrice du duo, connaît ses classiques et sait aussi comment en faire quelque chose de personnel, quelque chose de cohérent avec l'identité particulière du groupe, faite à la fois de recherche et de simplicité. C'est austère parfois, mais toujours fun et enthousiasmant ; c'est primal, mais pas crétin.
La rudesse du son est calculée, elle ne résulte pas d'un manque de virtuosité. Le guitariste sait se montrer compétent dans ses oeuvres comme dans le rendu sonore de son instrument, volontiers rocailleux, gras ou sec, salement saturé. Il sait faire claquer ses cordes, comme il sait plaquer un accord brut. La batterie est sobre et efficace. Je ne pense pas que Meg White ait jamais été considérée comme une figure de référence dans cette discipline, mais les compositions sont adaptées à son niveau (à moins que ce ne soit l'inverse) ; ça cogne comme il faut. Quant au chant, je le trouve sans compromis. Jack White n'essaye pas de passer pour Sinatra et honnêtement personne ne le lui demande ; peu de chanteurs sonnent comme Sinatra dans le rock en général de tout manière. Ici, il sait jouer de ses exubérances, de son acidité, de son timbre, des effets disponibles (par exemple à travers un mégaphone) ; ça colle bien au côté agressif, rugueux ou délirant des chansons.
Les chansons ne sont pas classées chronologiquement, mais – me souffle-t-on dans l'oreille – ordonnancées par Jack White lui-même. J'admets que cet arrangement donne un ensemble très plaisant à écouter. Avec le premier ordinateur venu, on peut bien sûr réarranger tout ça dans une playlist strictement chronologique et ça donnera quelque chose de très plaisant aussi. Enfin, vous pouvez écouter le disque en mode « lecture aléatoire » et obtenir une expérience identiquement plaisante. Où veux-je en venir ? Nulle part, je crois, si ce n'est que c'est une musique qui résonne bien avec elle-même : il n'y a pas de « phases » dans l'évolution du son du groupe qui ferait que telle chanson jure stylistiquement avec telle autre.
Quoi qu'il en soit, j'aime ce que j'entends. Surtout les vénéneux Ball and Biscuit et Dead Leaves, la fantaisie de You're Pretty Good Looking et de My Doorbell, la sauvagerie de Fell in Love with a Girl ou de Icky Thumb, la rugosité de Hello Operator, l'ambiance malsaine de The Hardest Button to Button,... je pourrais presque tout citer.
Il y a quelques reprises dans la sélection. Un Death Letter (Son House) qui s'intègre très bien, un Jolene (Dolly Parton) qui met le feu. Par contre I Just Don't Know What To Do With Myself (Dusty Springfield) sonne juste comme une blague : sympathique une fois, ennuyeuse ensuite. J'ai cru un instant que Apple Bloom avait été piquée aux Kinks, mais non, c'est bien des White Stripes. Dans le même ordre d'idée We're Going To Be Friends me rappelle un peu le Paul McCartney de Blackbirds. Il y a tout de même quelques titres qui emportent moins mon adhésion, mais ils sont rares : The Nurse et Conquest (une reprise d'ailleurs, de Patty Page).
Voilà, en conclusion, c'est un CD bourré de quantité de choses passionnantes et qui au fil des écoutes me donne doucement envie d'aller plus loin, de visiter les albums du groupe en détails, ce qui est plutôt un bon résultat pour une compilation.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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