Les quatre saisons de Vivaldi : la musique à l'école

Aviez-vous des cours de musique à l'école ? Dans mon cas, oui, mais fort heureusement, j'ai échappé à l'apprentissage de la flûte à bec qui y est d'habitude associé. Il n'en est donc resté qu'une succession plutôt monotone de biographies de compositeurs, avec écoute occasionnelle de morceaux emblématiques. De ces cours, j'avais déjà à peu près tout oublié rien qu'en passant la porte de la classe en fin de journée, une preuve de l'excellence de ces méthodes pédagogiques certainement.

Toutefois, il y a eu un compositeur qui m'a laissé un souvenir un peu plus durable : Vivaldi. De lui, je sais qu'il était italien, violoniste, surnommé « le prêtre roux » parce qu'il était prêtre et roux. Tout ceci, c'était un peu comme savoir que Mozart était un enfant prodige et que Beethoven était sourd. Ce n'était sans doute pas grand chose, mais j'en savais alors bien moins sur Haydn, Schumann ou Brahms.

J'ignore pourquoi ces quelques détails me sont restés... Peut-être parce que le programme du cours suivait un semblant d'ordre chronologique, Vivaldi apparaissant donc au tout début (il appartient à la période dite « baroque » et en musique, on semble assez peu se préoccuper de ce qui se passe avant), à un moment où ma motivation n'était pas encore oblitérée par la lassitude, mais plus sûrement parce qu'il est le créateur d'une oeuvre qui reste particulièrement en mémoire : Les quatre saisons.

C'est fabuleux, Les quatre saisons, pour un jeune esprit qui commence à peine à s'intéresser à de la musique sans parole ; rendez-vous compte, c'est de la musique qui raconte quelque chose. On peut fermer les yeux et penser aux fleurs, à l'orage, au vent, à la neige,... D'ailleurs il y a des titres pour mieux vous expliquer ce que vous devez comprendre : le printemps, l'été, etc... Des concepts plutôt clairs et naturels, des images qui apparaissent d'elles-mêmes ; c'est très commode. Mis en appétit, je me suis alors décidé à étoffer ma collection de cassettes en ajoutant un Vivaldi à mon Beethoven.



L'exemplaire qui a fini sur mon étagère est édité chez Deutsche Grammophon dans une collection appelée « Special ». En dépit de ce nom attractif, il s'agit d'une gamme de rééditions à bas prix, ce qui explique sûrement l'utilisation d'une bande de type I (mais avec dolby). Le boitier est extrêmement standard, de même que la cassette elle-même. L'insert est limité à sa plus simple expression, mais l'image choisie n'est pas si mal, avec cette branche de pommier dont les différents segments illustrent chacune des quatre saisons. De manière plus amusante, on relèvera une certaine incohérence générale dans les textes disponibles : l'insert nous parle en français et en néerlandais, mais l'étiquette collée sur la cassette donne un titre italien : Le quattro Stagioni. Une seule date, 1969, est mentionnée et c'est très probablement la date de l'enregistrement, la cassette elle-même ayant plus sûrement été fabriquée plus tard ; je serais en effet surpris d'avoir pu acheter neuve en magasin, dans la seconde moitié des années 80, une cassette aussi ancienne.

Puisque l'on parle de l'enregistrement, il s'agit ici de celle de l'orchestre de chambre Paul Kuentz, manifestement dirigé par Paul Kuentz. Le nom d'une soliste (violon) est cité aussi : Monique Frasca-Colombier. A l'époque où je découvre cette cassette, tous ces noms me sont bien sûr parfaitement inconnus. Toutefois, en procédant à quelques recherches pour écrire cette chronique, j'ai appris que Paul Kuentz (né en 1930 à Mulhouse) est toujours vaillant (je trouve qu'il a un peu la tête de l'acteur Michel Robin), que son orchestre (fondé en 1951) est théoriquement toujours en activité, et que par ailleurs Monique Frasca-Colombier est aussi son épouse.



Du point de vue de la qualité de la restitution, cette vieille cassette présente bien un petit effet de souffle propre au format, mais le rendu est encore plutôt décent. Malgré le temps passé à prendre la poussière dans un grenier, la qualité et la longévité de ces bandes, objet bon marché de consommation courante, sont parfois surprenantes.

Bien des années plus tard, tout récemment en fait, j’ai trouvé dans une solderie la version vinyle de ce même enregistrement (même label, même collection, même bizarrerie linguistique). La coïncidence était trop belle, alors je m’en suis immédiatement porté acquéreur et donc revoilà Les quatre saisons, mais en disque et avec une qualité sonore sensiblement améliorée ; bien sûr on perçoit un léger bruit de surface et quelques parasites électrostatiques, mais rien d'affolant. 

Quoi qu'il en soit, malgré la positionnement « budget » de cette édition « Special », en vinyle ou en cassette, c'est un master très décent qui a été utilisé et le son est d'une qualité tout-à-fait satisfaisante.



Qui écoute encore aujourd'hui Les quatre saisons de Vivaldi ? Ces airs ne sont-ils pas trop « usés »? Ils ont été mis à toutes les modes, ils ont été repris dans tous les contextes, dans nombre de publicités, jusque dans les musiques d'attente de standards téléphoniques ou les sonneries de téléphones portables... Je suis d'avis d'une part qu'une telle diffusion est à mettre au crédit de l'oeuvre ; si elle a su atteindre une telle popularité et toucher le plus grand nombre, c'est d'abord par l'efficacité de ses mélodies. D'autre part, je pense qu'il n'est jamais mauvais de revisiter de temps à autre ces morceaux que leur propre stature a peut-être tenus à distance d'un public qui croit déjà les connaître parce qu'ils seraient connus, histoire de comprendre ce qui a fait leur réputation.

On le sait, ce qu'on appelle Les quatre saisons est en fait un groupe de 4 concertos pour violon ; publiés en 1725, ce sont même, si j'ai bien compris, parmi les premiers représentants de ce format musical qui fait dialoguer un soliste avec un orchestre. Chaque concerto est divisé en 3 mouvements (avec une succession des mouvements suivant le schéma théorique rapide/lent/rapide), ce qui fait au total 12 mouvements. Malgré ce nombre, l'oeuvre est relativement courte ; l'exécution de l'ensemble prend environ une quarantaine de minutes.

Le nombre de musiciens à la manoeuvre semble plutôt réduit. C'est du moins ce que je crois percevoir. Le son apparaît en effet moins « plein » que pour une symphonie de Beethoven. Je suppose qu'on ne dit pas « orchestre de chambre » pour rien : il faut que l'on puisse caser tout ces gens dans une seule pièce. J'entends surtout des cordes à vrai dire, clavecin y compris, même si celui-ci est plutôt discret. Et bien entendu il y a un violon solo qui ressort davantage ; c'est tout l'intérêt d'un concerto. Dans l'ensemble, je dirais que ça joue bien, mais je manque de point de comparaison. Peut-être aussi n'est-ce pas une oeuvre qui laisse beaucoup de liberté dans l'interprétation. Peut-être aussi, n'est-elle pas difficile. Peut-être aussi que je n'y connais rien. Dans tous les cas, je suppose que Deutsche Grammophon ne s'est pas amusé à enregistrer n'importe qui non plus, et qu'au minimum, ce sont des musiciens qui jouent juste.

Avec, comme il se doit, de la réclame pour les autres disques de la série...
Collectionne-les tous !

Le premier concerto, « Le printemps » (RV269) ne perd pas de temps avec la moindre introduction, on entre dans le vif du sujet, dans le corps de la mélodie dès le début. C'est joyeux et entraînant, c'est aussi très familier. C'est clairement une des parties qui vient tout de suite à l'esprit quand on évoque Les quatre saisons. C'est brillamment naturel : les notes semblent se succéder sans effort, mais pas sans tension. La musique « fonctionne » comme un petit moteur bien entretenu dont les coups d'archets plus aigus de la soliste relancent constamment l'entrain. Le deuxième mouvement, plus lent, est très mélancolique ; ce contraste m'a surpris, vu la saison. Le troisième mouvement reprend bien sûr du poil de la bête, mais garde un petit air de tristesse ; peut-être que je me laisse piéger par le timbre un peu larmoyant propre au violon ? Il y a en tout cas davantage ici que le vague air de fête dont je croyais me souvenir.

Le concerto suivant, « L'été » (RV315) est probablement celui qui exprime la plus grande tension dramatique. Le premier mouvement voit des passages lents et pesants, un peu maladifs, alterner avec des séquences fiévreuses que je trouve très réussies. Le deuxième mouvement annonce tout doucement l’orage à venir avec des vrombissements graves. La tempête éclate véritablement dans la troisième partie, le morceau de bravoure de ces concertos et sans doute encore un des passages les plus populaires de l’œuvre. Les cordes sont lourdes et puissantes. La météo, si je puis dire, est bien simulée. Quelques fausses accalmies viennent tromper l’auditeur, puis on replonge dans un tempo soutenu.

J’avais très peu de souvenir du concerto « L’automne » (RV293), mais comme pour « Le printemps », c’est à nouveau plutôt efficace, ça marque l'esprit et ça se fredonne tout de suite. Le premier mouvement me semble très carré, très académique, moins amusant que « Le printemps ». Ça n’empêche que la mélodie déployée ici, comme dans le troisième mouvement d’ailleurs, ne manque ni d’allant ni de grâce. Le deuxième mouvement de manière originale donne un peu d’espace au clavecin, sous forme d’arpèges (je crois) qui servent de toile de fond à un très lent développement au violon.

Le concerto « L’hiver » (RV297) commence par un premier mouvement très prenant : la soliste entre lentement dans le morceau sur un fond de tension contenue, avant que le thème principal ne se lance – un air à nouveau impeccablement efficace, à nouveau mélangeant une sorte d’élan à un soupçon de mélancolie ; c’est mon favori de toute l’œuvre, je pense. Le deuxième mouvement, plus lent, comme il se doit, a un très intéressant motif rythmique, façon tic-tac d’horloge ; je ne sais pas si c’est fait exprès. Le troisième mouvement est moins emblématique, moins facilement reconnaissable. Il commence avec un petit côté « disque rayé », mais offre un beau final riche en gravité.

Donc, au final, oui, Les quatre saisons, c’est toujours très bon, même après trois siècles. C’est même assez court pour éviter tout risque d'ennui, et la diversité des mouvements fait en sorte que finalement c’est une œuvre bien plus riche et variée que dans mon souvenir ; il y a bien d'autres choses à découvrir que les deux ou trois mêmes passages que l’on entend partout.

Les quatre saisons de Vivaldi, on doit sans doute penser que c’est un acquis, que voilà, c’est fait, c’est entré dans le patrimoine, dans la mémoire culturelle d’à peu près tout le monde. Hop ! On peut cocher cette case. Y revenir sérieusement au moins une fois dans sa vie n’est toutefois pas inutile : c’est beau (et ça ne vous retiendra pas si longtemps). En outre, depuis le temps, ce ne sont pas les enregistrements de qualité qui doivent manquer ; et celui de l’orchestre de chambre Paul Kuentz en vaut bien un autre, j’imagine. À mon humble niveau, cet ensemble a su me toucher aujourd'hui, comme je l'ai été autrefois lors d'un cours de musique.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.


Pour les plus curieux, références discogs :

https://www.discogs.com/Antonio-Vivaldi-De-Vier-Jaargetijden-Les-Quatre-Saisons/release/13721565

https://www.discogs.com/Antonio-Vivaldi-Orchestre-De-Chambre-Paul-Kuentz-De-Vier-Jaargetijden-Les-Quatre-Saisons/release/2066549

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