Je me suis parfois demandé si mon père était un audiophile. Après tout, il écoutait beaucoup de musique, et essentiellement de la musique classique... Malheureusement aujourd'hui je ne peux plus lui poser la question de l'intensité de son implication dans ce type de loisir ; je dois donc un peu enquêter par moi-même.
En ce qui concerne le matériel, il avait fini par assembler une chaîne hi-fi plutôt correcte, faite d'éléments séparés issus de fabricants sérieux à défaut d'être haut-de-gamme (HH Scott, Kenwood, Thorens, Canton – on est alors vers la fin des années 70 / début des années 80). Je dispose encore de tous ces appareils et je dois dire qu'ils fonctionnent encore plutôt bien (après un petit rafraîchissement tout de même pour la plupart d'entre eux). Donc, voilà, c'est déjà ça.
Quand je regarde les quelques vinyles conservés de cette époque par contre, on a affaire à une collection plutôt réduite (surtout comparée à mes nombreuses piles de disques entassées un peu partout). Sans doute, n'était-ce pas dans l'accumulation de supports que se portaient en priorité ses efforts. Il y avait la radio bien sûr, et je sais qu'il assistait volontiers à des concerts.
Mais à défaut de quantité, quelle est la qualité de ces disques ? Prenons un exemple. Voici un 33 tours publié par le label Deutsche Grammophon qui présente Herbert von Karajan dirigeant l'Orchestre Philharmonique de Berlin dans un répertoire associant deux compositeurs tchèques : Bedřich Smetana et Antonín Dvořák. Bon, comment décoder tout ça ? Procédons par ordre...
D'abord le label. Deutsche Grammophon, c'est une étiquette qui n'est pas sans cachet, il me semble. Cette vénérable institution publie des disques depuis plus de 100 ans et fait incontestablement partie du paysage passé et présent de la musique classique. D'ailleurs j'ai moi aussi des cassettes de chez eux, rappelez-vous. En creusant un peu, je remarque qu'en termes de qualité sonore, la réputation de cette maison n'a pas toujours été sans tache : les LPs des années 50 et 60 sont ainsi tenus en bien plus grande estime que les vinyles produits lors des deux décennies suivantes (on blâme des changements dans les techniques de prise de son, une plus grande finesse des vinyles eux-mêmes,...) Ce disque-ci fait partie d'une collection prétendument prestigieuse : « Signature »... Je suis très tièdement convaincu ; cela reste un simple disque glissé dans une pochette en carton avec un travail éditorial peu développé (quelques paragraphes au dos). Je vois aussi qu'il s'agit d'enregistrements réalisés entre 1960 et 1972, mais publiés en 1983. Peu importe l'emballage, c'est une réédition, une manière de rentabiliser le catalogue. Mais pourquoi pas, après tout... J'ai, on l'a lu, un Vivaldi dans une collection du même genre qui ne sonne pas mal du tout.Ensuite, l'interprète. L'Orchestre Philharmonique de Berlin, ce n'est pas la première formation venue. Et il y a aussi Karajan, immanquable sur la photo de la pochette. Alors, je sais aujourd'hui que ce n'est pas un artiste qui fait l'unanimité, mais dans la tendre naïveté de mes jeunes années, son nom était pour moi carrément synonyme de « chef d'orchestre », comme s'il n'y en avait pas d'autre. Je suppose que la mise en scène par le chef allemand de sa propre notoriété a laissé sa marque, mais il m'en est toujours resté un petit quelque chose et retrouver ce nom sur cette pochette aurait plutôt tendance à me disposer dans une attitude admirative. Quoi qu'il en soit, on aura l'occasion de reparler de Karajan ; j'ai sa vilaine tête sur plusieurs autres disques.
En conclusion, un label plutôt sérieux et un interprète célèbre. Alors certes, c'est dans une version sans doute « économique », mais peut-être tout de même valable. Écoutons ça.
Le poème symphonique La Moldau (mais peut-être devrait-on mieux dire Vltava) de Smetana ouvre le disque et en constitue très probablement la pièce de choix. L'engagement patriotique du compositeur est bien connu et on rappelle assez souvent combien il se reflète dans une oeuvre avec un titre aussi limpide que Ma Patrie (en tchèque : Má Vlast, 1874-1879), le cycle dont fait partie le morceau qui nous occupe. C'était le XIXème siècle, une époque où l'on pouvait se dire nationaliste sans que ça inquiète – être nationaliste, pour un territoire alors dominé, par exemple, par l'Autriche (mais ça aurait pu aussi être la Russie, la Prusse, ou l'empire Ottoman), ça voulait aussi simplement dire être indépendantiste (voire, soyons fous, démocrate), mais revenons à la musique.
J'aime bien Vltava. J'aime même beaucoup Vltava. Le thème du début est un petit bijou de mélancolie. C'est aussi un mouvement ondoyant qui se marie bien avec la coloration aquatique du sujet. Suit un charmant petit air de danse paysanne, qui à sa manière fait un peu ancien régime, comme une petite plongée dans le siècle précédent. L'évocation des nymphes des eaux est un passage plus onirique, tout en douceur. Enfin, les tumultes de flots et l'arrivée à Vyšehrad (quartier de Prague) donne l'occasion à l'orchestre de reprendre le thème principal dans une version plus furieuse. Tout ce poème symphonique est d'autant plus admirable que j'apprends en même temps que Smetana était atteint de surdité au moment d'achever son oeuvre (tiens, ça me rappelle quelqu'un...) Malgré son intention patriotique finalement très secondaire, c'est un air que je trouve très nostalgique, très touchant, presque douloureux par endroit, et triomphant ensuite. C'est étrange, complexe et familier pour qui est perméable au sentiment de la perte.
Trois extraits de la musique composée pour l'opéra La fiancée vendue (Prodaná nevěsta, 1866), également de Smetana, viennent compléter la première face du disque. Il s'agit de trois danses (polka, furiant et danse des comédiens) à forte inspiration folklorique. Tout cela est fort charmant et très enjoué, mais en même temps déconnecté de l'oeuvre d'origine, forcément ; et ça fait un peu pièce rapporté par rapport au premier morceau. Peut-être que ces mélodies dépourvues de paroles peuvent se suffire à elle-mêmes, mais on ne peut s'empêcher de se dire qu'elles ne sont là que pour sonner « tchèque » et donner un semblant de fil rouge au disque... On se penchera sur l'intrigue de La fiancée vendue une autre fois, je suppose.
La thématique dansante et bohémienne se poursuit sur la seconde face du disque avec cinq extraits des Danses Slaves de Dvořák. Alors, au départ, ces Danses Slaves sont au nombre de seize, réparties en deux groupes de huit, respectivement sous les numéros d'opus 46 (1878) et 72 (1886). La sélection qui a été faite ici mélange allégrement des danses prises dans chacun de ces deux groupes. A l'écoute, j'éprouve des sentiments mitigés. C'est mélodiquement plutôt intéressant (j'aime beaucoup le dernier, 46/7), mais je ne suis pas entièrement séduit. Peut-être que le format de ces danses ne me convient pas. Peut-être que je préfère des oeuvres symphoniques un peu plus longues et moins unidimensionnelles. Enfin et surtout, un peu comme pour les extraits de La fiancée vendue, on reste sur sa faim, avec l'impression de ne pas avoir tous les éléments dans le bon ordre (et d'ailleurs, c'est le cas), et d'écouter des morceaux choisis et placés là à la va-vite pour compléter le disque. Dans un autre contexte, ces danses auraient peut-être davantage de sens. Pour moi, sous cette forme, ce n'est pas la bonne porte d'entrée vers la musique de Dvořák.
Le son est globalement satisfaisant, mais pourrait être peut-être plus léger, plus aéré, moins.... je vais écrire moins « compact », faute de mieux, mais ce n'est pas tout-à-fait ce que j'ai en tête. En fait, il est un peu fatigant. Est-ce du à l'enregistrement (prise de son, mixage) ? Au répertoire (les danses sont plutôt intenses) ? A l'état physique du disque lui-même (on atteint les 50 minutes de durée, des conditions qui auraient tendance à m'inquiéter quant à la qualité de la gravure) ? Ou est-ce dû à l'usure du vinyle ? Il est par endroit quelque peu dégradé, avec un niveau de craquements et de bruit de surface un peu supérieur à la moyenne ; il y a même une griffe au début de Vltava qui fait se répéter quelques notes trois fois de suite ; est-ce le signe d'un relatif manque de soin, d'écoutes fréquentes, de tout ça à la fois ? À l'état neuf, le disque offrait-il un meilleur rendu ? Quoi qu'il en soit, sans démériter tout-à-fait, il ne représente peut-être pas ce que Deutsche Grammophon peut faire de mieux.
Alors, quel bilan tirer de l'expérience ? C'est le disque qui m'aura fait découvrir Vltava, et ça, ce n'est pas rien. Les réserves que j'ai pu avoir sur le son ne m'ont pas empêché de tomber sous le charme de l'hypnotique poésie de ce joli morceau. L'interprétation de Karajan et de l'orchestre philharmonique de Berlin me semble compétente, favorisant peut-être un peu trop les cordes, mais restant néanmoins agréable. Je suis moins convaincu par le reste du programme, mais ce n'est sans doute que partie remise.
Et en conclusion, ce disque est-il représentatif d'une démarche paternelle audiophile ? Mmm... Peut-être bien que oui, peut-être bien que non... On est sur une bonne voie, mais il va falloir poursuivre les recherches.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
Pour les curieux, référence discogs :
Mise à jour. A nouveau, en cherchant un peu, on peut trouver sur le site discogs les illustrations des disques originaux où se trouvaient initialement les morceaux compilés ici :
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