Le nouvel album de Garbage : encore un disque rose

 

Oui, encore du rose. Comme le dernier album de Laura Veirs, commenté ici-même l'automne dernier. Et surtout comme plusieurs albums de Garbage : le premier, le troisième, ou encore la compilation The Absolute Collection parue en 2012.

Tout beau, tout chaud, publié tout dernièrement le 11 juin 2021, le nouvel opus de Manson, Vig, Erikson, et Marker s'intitule No Gods No Masters. J'aime beaucoup la musique de Garbage, quasiment depuis leurs débuts ; je ne pouvais donc pas passer à côté de ce nouvel opus. J'ai choisi d'acquérir la version « deluxe » comportant deux CDs, c'est-à-dire l'album sur un disque, et sur l'autre une sélection de chansons sorties un peu en ordre dispersé ces dernières années, souvent à l'occasion du Record Store Day.

Rose. Et un peu vert aussi...

L'objet se présente comme une petite boite de type clamshell en carton, rien de bien compliqué. A l'intérieur on trouve chacun des deux disques bien rangé dans son étui, en carton également, le livret avec paroles et autres détails techniques, un mini-poster plié en six et quatre photos des membres du groupe. J'aime bien ces quatre photographies. Elles sont imprimées sur papier fort, partagent une approche esthétique commune (noir et blanc avec une « zone » rose) et ne quitteront probablement jamais la boite. Shirley Manson y est parfaite, comme d'habitude, trouvant à chaque fois un niveau de morgue et de trouble très naturel. Duke Erikson donne l'impression qu'il va mourir bientôt et me fait un peu de peine. Steve Marker, au regard très concentré, s'est laissé pousser la barbe (c'est vrai que ça demande beaucoup de concentration). Butch Vig a l'air totalement dégoûté de la vie, comme si on lui avait piqué son dessert à la cantine, mais qui suis-je pour juger. Le mini-poster (un dessin de cheval attaqué par un lion, avec en transparence la phrase « Be kind » empruntée à la chanson No Gods No Masters) me laisse plus perplexe, voire même indifférent ; j'aurais préféré une grande photo du groupe. L'album est produit par le groupe lui-même, assisté de Billy Bush, fidèle collaborateur depuis au moins Version 2.0 (1998), et publié par Stunvolume, le propre label du groupe (et si je ne m'abuse, c'est leur troisième oeuvre sous ce pavillon). On est donc face à un disque produit quasiment en toute indépendance.

Verso.

La musique de Garbage, à mes yeux du moins, repose sur l'alliance réussie d'une poignée d'éléments. Une certaine énergie rock, un emploi assumé de guitares agressives. Une intelligente adhésion aux apports de la musique électronique, surtout dans ce qu'elle peut avoir de parfois brutalement industrielle. Une posture post-grunge volontiers désenchantée, détachée, un peu décadente peut-être, mais jamais sans mordant. Une exigence mélodique qui rend cette musique accessible sans la rendre lisse et convenue. Enfin il y a Shirley Manson. C'est peu dire que sa voix grave a fait beaucoup pour définir l'identité du groupe. Elle est capable d'exprimer une large palette d'émotions, même si elle excelle aussi dans le registre de la froideur calculée.

Livret, CD 1, CD 2

On retrouve tous ces éléments dans No Gods No Masters avec une hargne évidente. Malgré déjà 25 ans de carrière, les musiciens de Garbage ne sont pas prêts d'enfiler leurs pantoufles. Le propos est aussi particulièrement politisé, comme le laisse deviner le titre de l'album. La religion et le patriarcat vont passer un sale quart d'heure, même si des thèmes plus intimistes sont aussi abordés (amours déçues, relations toxiques).

A l'intérieur

Les chansons au tempo soutenu constituent la plus grande partie de l'album – on est chez Garbage après tout – et fonctionnent particulièrement bien. The Men Who Rule the World, The Creeps, Wolves, Flipping the Birds, No God No Masters sont de dignes additions au répertoire du groupe. Les mélodies entrent vite dans la tête (sans demander la permission, en défonçant la porte, comme c'est l'usage) ; on se surprend à très vite taper du pied et on comprend à quel point on avait besoin d'un disque comme celui-là. Les guitares fusent, les mots tombent comme des briques, la batterie est électrisée, Shirley nous met à genoux. Ma chanson préférée est sans doute le déboulonnant Godhead, avec la voix de Manson en mode murmure malsain, avec une basse qui roule comme un concasseur et un refrain à faire trembler les murs.

De l'autre côté.

Les ballades – appelons-les comme ça – sont peut-être un tout petit peu moins convaincantes. Dans ce registre, je n'entends pas encore d'équivalent à You Look So Fine par exemple, mais à nouveau, rien qui viennent fondamentalement amoindrir un excellent album. A tout bien considérer, This City Will Kill You est peut-être celle qui me séduit le plus ; elle clôture l'album de bien belle façon.

Le second disque, avec des morceaux composés et enregistrés dans d'autres circonstances, est moins homogène. On y trouve également des collaborations avec d'autres artistes (Brian Aubert, John Doe, Exene Cervenka, Screaming Females), une reprise de David Bowie, et aussi une ballade que je trouve plus touchante que celles de l'album principal (On Fire, un titre sorti initialement en 2015)... Mais surtout, le disque fait figurer une version particulièrement alléchante de Because the Night. A bien y réfléchir, Patti Smith et Shirley Manson, vocalement, c'est une filiation qui tombe sous le sens et la cadette livre une interprétation puissante de ce classique de l'aînée. Toutefois, c'est la guitare survoltée de Marisa Paternoster, invitée pour l'occasion, qui emporte le morceau. Son shred final hallucinant d'une minute et demi finit de transformer cette chanson déjà bouillante en véritable bombe atomique. Je l'avoue, c'est surtout pour mettre la main sur ce morceau que j'ai voulu acquérir cette version « deluxe ».

Soyez gentils.

Le son du disque est fort et efficace, avec des basses bien présentes. Je soupçonne un usage libéral de la compression dynamique pour donner plus de pêche à l'ensemble ; tout sonne très « plein » et très « frontal » en quelque sorte. On va dire que c'est un genre de musique qui supporte encore assez bien ce traitement. Heureusement, a voix de la chanteuse est proprement restituée, rendant perceptibles toutes ses inflexions, ses soupirs, ses halètements ; c'est le moins que l'on puisse souhaiter. De même, vu l'abondance d'effets électroniques, les différentes textures sonores sont rendues de façon soignées, à mes oreilles en tout cas.

En conclusion, Garbage réalise là un très beau disque. On aurait tort de s'en priver. C'est d'ailleurs bien simple, pour le moment il ne quitte pas mes oreilles. Le disque précédent, Strange Little Birds sorti en 2016 ne m'avait pas fait une impression aussi forte ; faudra que je m'y replonge à l'occasion.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

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