Ce disque-ci est un enregistrement des valses de Chopin. Le pianiste franco-polonais n'a publié que huit valses de son vivant (on est dans les décennies 1830-1840), mais en ajoutant les oeuvres posthumes, on obtient un corpus qui compte généralement entre quatorze (comme ici) et dix-sept morceaux. Je suppose que ça dépend un peu aussi de la place dont on dispose (dans notre cas, quarante-six minutes), mais globalement, c'est un corpus pratique, les valses de Chopin ; ça se range facilement sur un seul disque, que ce soit un seul LP ou un CD.
Malgré le qualificatif de « valse », il ne s'agit pas vraiment ici des danses autrichiennes qui fleurent bon les robes à crinoline, les élégants officiers en uniformes et les bals de Schönbrunn. C'est sans doute un cliché, mais « intimiste » serait plutôt le mot-clé de ce répertoire-ci. Le musicien est seul au piano, généralement devant un petit comité choisi, à charge pour lui d'animer les soirées d'une élite intellectuelle et artistique, d'ambiancer les salons mondains. Les morceaux sont plutôt courts, de deux à cinq minutes, avec des mélodies plutôt accessibles. L'origine dansante se maintient facilement dans les pièces rapides et joyeuses, mais on trouve une égale part d'exemples plus lents et volontiers plus mélancoliques. On se laisse très vite bercer par ces airs a priori sans prétention, mais très séduisants, tantôt espiègles, tantôt plus tristes. Ce Frédéric Chopin s'y entendait pour ciseler en quelques instant des harmonies captivantes et mémorables. Je crois que ça doit être assez difficile de trouver quelqu'un qui n'aime pas Chopin, au moins de loin ; ou alors c'est qu'il n'aime pas le piano.
L'objet est édité sous le label « Music for Pleasure », lequel est – je l'apprends – un label de réédition bon marché, principalement actif entre 1965 et 1995. Il avait toutefois l'avantage de pouvoir puiser dans le vaste catalogue de EMI, maison de disque prestigieuse. J'en déduis que cela devrait nous donner un contenu intéressant, mais dans un emballage sans éclat. Je trouve en effet la photo de la pochette peu avenante ; elle nous montre assez platement ce qui semble être un écritoire du XIXème siècle, avec plume, papier, bougeoir, horloge et portrait de Chopin. En fouillant un peu sur internet, j'en suis arrivé à la conclusion (provisoire) qu'il pourrait d'agir d'un meuble de la maison de George Sand à Nohant, mais je n'en serai certain que le jour où je pourrai me rendre sur place. Plus important que ces considérations en matière de décoration, je remarque qu'étrangement le nom de l'interprète n'est pas du tout mis en avant ; on ne lit d'abord que le nom du compositeur (on vend du Chopin). Ce n'est qu'au verso de la pochette qu'apparaît le nom de la pianiste, accompagné d'un court texte sur la valse (en quatre langues, bel effort) et la liste des morceaux.
L'artiste enregistrée ici est donc l'anglaise Moura Lympany (1916-2005). Dame Moura Lympany, même, pour ceux que ce genre de distinction intéresse. En procédant à quelques recherches sur ce nom, je suis tombé sur un ou deux détails amusants.
D'abord, elle ne s'appelle pas vraiment Moura Lympany, il s'agit d'un nom de scène. En vrai, elle s'appelle Mary Gertrude Johnstone.
Ensuite, par deux fois au moins, son destin sera lié à la Belgique. D'abord parce qu'elle y a effectuée une partie de ses études (dans un couvent, figurez-vous). Ensuite parce qu'en 1938 elle participera à la seconde édition du concours musicale Eugène Ysaÿe (futur concours Reine Elisabeth de Belgique). Alors, il y a des choses à dire sur cette édition du concours. D'abord parce que Moura Lympany n'y a pas démérité : elle a remporté le deuxième prix, derrière Emil Gilels (URSS), pas vraiment un inconnu dans le monde du piano. Si parmi les participants, je relève aussi la présence d'Arturo Benedetti Michelangeli (Italie) et de Nikita Magaloff (Georgie), le beau monde était aussi dans le jury, avec certes Robert Casadesus (France), mais surtout Arthur Rubinstein (Pologne) et Walter Gieseking (Allemagne). Entre Russes rouge et blanc, entre juif et nazi, ça devait être une chouette ambiance... Toute l'originalité de vivre dans les années 30s, je suppose.
La carrière de Moura Lympany s'est étalée sur des décennies, mais l'enregistrement des valses de Chopin semble avoir eu lieu en 1959 ; c'est du moins ce que j'ai pu déduire par ailleurs parce que l'on ne trouve aucune date sur le disque lui-même (qui semble être une réédition des années 60s).
Le jeu de la musicienne, pour autant que je puisse en juger, m'apparaît aussi élégant que compétent. Il ne fait pas obstacle au romantisme propre à l'oeuvre, bien au contraire sa fluidité le sert habilement. Pas de quoi se plaindre de ce côté-là donc.
La qualité sonore du disque par contre n'est pas sans reproche, que ce soit du à la négligence des ingénieurs de chez EMI (on était peut-être un lundi matin), à la qualité du pressage lui-même ou au relatif manque de soin apporté au support avec le temps (la pochette a bien vécu). C'est néanmoins un rendu plus agréable que la cassette de sonates de Beethoven discutée il y a peu par ici, histoire de prendre comme point de comparaison un autre exemple de répertoire au piano seul. Si, malgré les petites imperfections et les distorsions occasionnelles, on gagne en clarté et en pureté par rapport à la bande magnétique, force est de constater qu'on a aussi déjà entendu beaucoup mieux sur vinyle. J'imagine que quelque part, on paye aussi le côté « budget » de cette édition.
En résumé, et pour revenir encore sur mon entreprise d'évaluation du niveau de la discothèque familiale, je me retrouve encore une fois dans une position confuse. D'un côté, l'enregistrement d'un répertoire de référence par une interprète, certes un peu oubliée aujourd'hui, mais à la carrière éminemment respectable. De l'autre côté, un disque aux aspects techniques peu qualitatifs. Le coeur y était, mais pas le porte-feuille probablement. Ou bien tout cela n'est-il que le hasard d'un achat peu réfléchi ? Mes parents voulaient du Chopin, mais savaient-ils qui était Moura Lympany ?
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
Pour les curieux, référence discogs :
https://www.discogs.com/fr/Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Chopin-Valses-De-Chopin/release/5029287
Mise à jour. La pochette originale de ces enregistrements devait être celle-ci (je pense) :
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