Je me souviens que ce truc là, on en faisait un peu le concert du siècle... En y repensant, c'était tout de même un jugement un tantinet exagéré, mais il ne faudrait pas en déduire à rebours que c'était quelque chose de négligeable. Rendez-vous compte : une reformation de Led Zeppelin, un des groupes de rock les plus célèbres de toute l'histoire des groupes de rock. Je me souviens que l'on en parlait des semaines avant l'évènement, et qu'ensuite on guettait avec avidité chaque indiscrétion, chaque petit bout de son ou de vidéo volé.
Nous sommes donc le 10 décembre 2007, dans l'enceinte de l'O2 à Londres (une jolie ville, mais un nom ridicule pour une salle de spectacle) et Led Zeppelin est la tête d'affiche d'un concert de charité en mémoire d'Ahmet Ertegun, décédé l'année précédente. Ertegun, c'était le président historique du prestigieux label Atlantic, bref un pilier de la musique populaire (pensez Aretha Franklin, Ray Charles, Otis Redding, Cream, Yes et bien sûr Led Zeppelin).
Vous le savez (parce que vous êtes des gens instruits), c'est la mort du batteur John Bonham en 1980 qui avait entraîné la fin de Led Zeppelin. Et si en effet il y avait bien déjà eu quelques tentatives de réunification depuis, elles furent trop souvent un peu décevantes et généralement éphémères (mis à part l'expérience Page/Plant, mais c'est une autre histoire). Celle-ci toutefois s'annonçait comme probablement la plus importante : les trois membres survivants, à savoir le guitariste Jimmy Page, le chanteur Robert Plant et le bassiste John Paul Jones allaient s'associer au fils de John Bonham, Jason, batteur lui aussi, pour une prestation sérieusement préparée. En outre, l'âge de la plupart de ces personnes devenant chaque année un peu plus vénérable, il y avait fort à parier que cette réunion allait aussi être celle de la dernière chance.
Une fois le concert terminé, il faudra bizarrement encore presque cinq ans avant d'en voir publier la captation. Malgré l'engouement déclenché par l'événement, le projet n'était-il plus prioritaire pour ces messieurs ? Quand on se dit que l'on a failli ne pas avoir de trace durable de ce moment historique, on tremble un peu, mais finalement, à l'automne 2012, le disque et le film du concert sont prêts.
L'objet que je me suis empressé d'acquérir se présente sous un boîtier de type digipack qui se déplie en quatre volets, un pour le livret, deux pour les CDs, le dernier pour le DVD du concert (une version blu-ray a existé également). Le dessin de la pochette (et toute la mise en image en gros) est de la main de Shepard Fairey (l'artiste responsable de la fameuse affiche « Obama – HOPE » pour citer un exemple). Il y a – bien sûr – un dirigeable survolant Londres, un mélange de couleurs chaudes et froides, classique, mais équilibré. Sur les disques mêmes a été reproduit le cadran de Big Ben ; c'est original. Globalement, c'est un packaging plutôt sympa. En tous cas, j'aime assez.
Le livret présente, outre des informations techniques et légales complètes, quelques photographies du concert (noir et blanc, mais avec un filtre jaune – pas la meilleure idée, mais on va dire que ça passe) et les témoignages des stars de la soirée. Comme on pouvait s'y attendre, tous disent avoir passé un merveilleux moment. Le texte de Jason Bonham, tout heureux d'avoir pu jouer avec le groupe de son père est le plus touchant.
Et le contenu alors ? J'avoue que j'avais quelques appréhensions, mais elles se sont vite envolées. C'est une performance massivement solide, et ce, d'entrée de jeu. Les quatre musiciens, bien conscients de la nature quasi légendaire de la soirée, sont au taquet, fournissent un travail sérieux, professionnel, accompli. Ils sont tous au meilleur niveau que l'on pouvait souhaiter pour eux à cette époque. Et les compositions, toutes tirées d'un catalogue ô combien convaincant, sont là pour faire en sorte que la magie fonctionne. Les moments de bravoures sont légions dans le répertoire zeppelinien et les morceaux se succèdent sans faiblir. On se frotte les yeux (ou les oreilles) : en quelle année sommes-nous ? En 1977 ou en 2007 ? Bon, je m'emporte peut-être un peu, mais il reste qu'ici, on prend finalement assez vite son pied ; ça frappe dans tous les sens, ça fait du bruit, on tape du pied, on remue la tête, on pianote des doigts.
Les chansons jouées vont des grands anciens (Good Time Bad Times, Dazed and Confused) aux immortels classiques (Since I've Been Living You, Stairway to Heaven, No Quarter, Whole Lotta Love) sans oublier des morceaux plus récents et par la force des choses moins souvent joués (Kashmir, In My Time of Dying, Nobody's Fault but Mine). L'album In Through the Out Door est le grand absent de la sélection. Les mauvaises langues diront que ce n'est pas une grande perte, les réalistes diront que l'on ne pouvait de toute manière pas tout mettre.
Quelques remarques plus critiques à présent. D'abord quelques morceaux ont été adaptés pour des raisons purement techniques. Robert Plant ne chante plus si haut qu'à la grande époque, certaines chansons sont donc joués quelques tons plus bas. D'autres sont raccourcies pour faire tenir tous le concert dans un laps de temps de deux heures. Dazed and Confused ou Whole Lotta Love pouvaient devenir gigantesques en concert et dépasser allègrement les 20 minutes (improvisations, inclusions de medleys). On revient ici à des proportions moins généreuses ; c'est un peu là qu'on se rend compte qu'il ne s'agit pas d'un concert de Led Zeppelin, mais d'un concert où apparaît Led Zeppelin. Et c'est un groupe qui a vieilli aussi ; auraient-ils tous été capables de tenir trois heures à ce train ? En revanche, on nous épargne un Moby Dick, ce n'est pas plus mal.
Comment s'en sortent-ils individuellement, les membres de cette reformation ? Au clavier ou à la basse, John Paul Jones est irréprochable. Robert Plant, assure au chant, mais je le trouve en retrait d'un tout petit quelque chose ; c'est peut-être dû à un choix de mixage. Derrière ses fûts, Jason Bonham se dépense sans compter et maintient toute la machine sur les rails avec vigueur ; son jeu est peut-être trop « métal », pas assez « blues » à mon goût. Enfin Jimmy Page fait ronfler ses guitares avec suffisamment de force pour compléter la signature sonore du groupe. Il faut tout de même avouer que sur certains solos, il est un peu en méforme, un constat particulièrement pertinent sur Stairway to Heaven. Mais ça tient, ça passe tout juste, et si on n'a pas été loin de se planter, on est trop bien avec eux pour ne pas faire preuve d'une certaine indulgence.
Le son est aussi puissant que la prestation. C'est fort, c'est frontal, c'est plein, c'est probablement un peu booster au mastering, mais ça reste sous contrôle et ça va bien au répertoire. Rien n'empêche en tout cas de bien capter le travail de chacun des quatre musiciens.
En résumé, c'est du beau boulot. La trace d'un évènement que l'on attendait plus, des artistes qui assurent autant qu'ils peuvent, et bien souvent mieux que mal, une production blindée pour en avoir plein les oreilles. Mêmes les limites perçues ici ou là participent positivement à l'impression généralement positive. Led Zeppelin, pour un soir, en 2007, c'était ça, une voix vieillie, des doigts moins alertes, mais c'était aussi encore ça, du punch, des chansons mythiques, de la passion en abondance. Pour le frisson ultime, on préférera certainement d'autres disques du groupe, mais celui-ci a néanmoins réussi son pari : proposer deux heures de plaisir nostalgique, aérien, et en plomb, une digne conclusion à une carrière brillante.
Quant au DVD, ma foi, je dois avouer que j'ai rarement le temps ou l'occasion de regarder ce genre de produit ; celui-ci est donc resté dans son boitier depuis... au moins neuf ans. Mais n'écoutant que mon courage, pour le bien de cette chronique, j'en ai finalement visionné le contenu. Pour info, le film est réalisé par un certain Dick Carruthers, un vidéaste / documentariste spécialisé dans les concerts filmés.
En images, le concert n'est pas mal du tout. C'est le même tracklisting, la même qualité dans l'interprétation. La mise en scène est assez rudimentaire. Ce ne sont finalement que quatre types sur une estrade sans décor particulier, qui bougent assez peu, du moins autant que leur permettent leurs articulations. Je suppose qu'il n'y a pas trente-six façon de filmer ça. Quatre types qui évoluent assez près les uns des autres d'ailleurs, sur une scène presque trop large pour eux. On se demande alors s'ils n'auraient pas été mieux dans un club... Néanmoins les lumières, les projections sur l'écran géant derrière les musiciens, et surtout l'entrain visuellement sincère de ces braves gaillards laissent une impression de show réussi. Tout le monde a l'air de s'amuser, tout le monde a l'air content d'être là, le public semble en avoir eu pour son argent.
Il y a tout de même une petite étrangeté. A les voir comme ça, je n'ai pas trouvé qu'il y avait une fantastique communion avec les spectateurs. C'est pro et efficace, mais un peu distant. Surtout, Page, Plant et Jones sont bizarrement souvent de profil par rapport au public, ils jouent beaucoup en se regardant eux-mêmes. C'est du moins l'impression qu'ils m'ont donnée. Peut-être que ça s'explique techniquement : ce n'est pas un groupe avec des semaines de répétitions derrière lui, les gars doivent se tenir à l'oeil pour « se suivre » durant les chansons.
Au final, c'est un film plaisant, sans être époustouflant. Les images constituent plus un document qu'un spectacle marquant qu'on reverrait encore et encore. Les CDs suffisent pour ça.
Dans le catalogue de Led Zeppelin, il y eut encore de quoi causer après ceci, des rééditions essentiellement, mais Celebration Day restera sans doute leur ultime contribution significative. Si c'est là leur cadeau d'adieu, on est plutôt bien tombé.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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