La chanteuse, guitariste, autrice-compositrice Courtney Barnett est active dans la musique depuis au moins 2009, mais je l'ai découverte (et je ne dois pas être le seul) plutôt récemment : en 2015, avec son premier album, Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit. C'est un fameux premier album que celui-là et son titre donne déjà un avant-goût du registre un peu absurde dans lequel évoluent les textes de cette artiste.
Cet automne sortait son troisième album studio (je ne compte pas les EPs, les collaborations, les lives), à savoir Things Take Time, Take Time. Il se présente sous la forme assez rudimentaire d'un simple CD glissé dans un étui en carton en deux volets. J'aime beaucoup l'illustration de cette pochette : des taches de peinture bleue sur une toile, rehaussées ici par l'application d'un vernis spécifique. Le reste de l'emballage est extrêmement simple, un fond bleu ciel rapidement brossé à coup de pinceau, de l'écriture manuscrite pour le textes des chansons, le tout sur une feuille séparée que je n'ose appeler un livret. Sur le CD lui-même, on retrouve imprimé le motif de la tache de peinture sur toile. Avec le trou central du disque qui fait comme un espace sombre au milieu de la couleur, cette tache me fait l'effet d'un coquelicot bleu. C'est publié chez Marathon Artists / Milk Records, le propre label de Barnett.
C'est un opus plutôt court : dix chansons pour trente-quatre petites minutes. C'est quatre minutes de moins que l'album précédent, lui-même un peu moins long que celui d'avant. J'espère que le prochain ne poursuivra pas cette tendance... On retrouve toutefois dans cette nouvelle livraison la plupart des caractéristiques d'un album de Courtney Barnett : la voix nonchalante et dépassionnée, la guitare un peu sale, un peu grunge bien mise en avant, une ligne mélodique qui miraculeusement émane de l'ensemble, des textes parfois insolites ou du moins avec leur point de vue bien à eux.
C'est bien le chant qui se remarque la première fois. C'est plus vivant qu'un simple ton monocorde, mais pas forcément de beaucoup. Les américains ont une expression pour ce style : « deadpan », une manière de s'exprimer avec un visage neutre, n'affichant quasiment aucune émotion. J'ai l'air d'en parler comme quelque chose de négatif, mais en fait j'aime beaucoup. Pensez au style de diction du personnage d'April Ludgate dans la série Parks & Recreation.
Ordinairement, le jeu de guitare vient compenser la relative absence d'énergie de la voix. Les enseignements punk / garage / grunge n'ont pas été perdus et l'instrument peut faire du bruit quand la chanson le nécessite. C'est aussi un son plutôt brut, volontiers saturé, mais aussi simple ; on devine qu'on ne passe pas des heures ici à régler ses appareils pour obtenir un rendu sophistiqué. En outre, Courtney Barnett plaque plus souvent accords et arpèges qu'elle ne se lance dans des solos élaborés. C'est fait avec spontanéité et absence de prétention.
Mais Things Take Time est aussi un album du confinement, un album avec une production plus mesurée que d'habitude. Très mesurée d'ailleurs, puis qu'elles ne furent que deux pour mettre en boîte la plus grande partie du disque : Courtney Barnett elle-même et la musicienne Stella Mozgawa (qui tient aussi la batterie dans le groupe Warpaint). Des boîtes à rythmes, des nappes de synthés discrètes viennent parfois étoffer le tout. Bref, un disque de Courtney Barnett n'a jamais été une superproduction, et c'est encore moins le cas sur celui-ci. Du coup, paradoxalement, la vigueur de la musique – et surtout de la guitare – est un peu en retrait par rapport à ce à quoi la musicienne nous a habitué.
Si l'on examine les chansons avec un peu plus d'attention, j'avoue que ça démarre très bien avec Rae Street et sa mélodie entêtante, son énergie contenue.
Sunfair Sundown déroule un tempo plaisant, mais a surtout l'air de ne jamais vraiment décoller. Ce sera malheureusement une remarque que l'on pourra faire à d'autres moments lors de l'écoute de ce disque.
Here's the Thing est une parenthèse atmosphérique un peu triste plutôt bienvenue.
Before You Gotta Go présente un début de quelque chose qui ressemble à un crescendo intéressant, mais ne réalise jamais son potentiel ; la faute à un texte répétitif et un manque d'épaisseur musicale peut-être.
Turning Green a la structure la plus ambitieuse ou du moins la plus prometteuse dans sa compatibilité avec l'approche indé, presque lo-fi de l'album. Le solo distordu qui termine le morceau est bien déglingué ; j'aime beaucoup.
Take It Day by Day est une courte récréation amusante, et réussie, mais courte.
If I Don't Hear from You Tonight est un autre exemple de chansons à moitié satisfaisante.
Write a List... porté par un court riff de guitare particulièrement jovial, reprend du poil de la bête de très belle manière. On sourit, on tape du pied.
Splendour est une sorte de blues comateux, presque un électro-cardiogramme plat. Il manque une idée à cette chanson.
On the Night clôture le disque sans beaucoup d'éclat, on pousserait presque un bâillement si ça n'avait été si court. Cela dit, l'espèce de long refrain (?) sorry that I've been so slow, y'know it takes a little time for me to show how I really feel, won't you meet me somewhere in the middle, on our own time zone ne sonne pas mal...
Les textes restent souvent dans le registre de l'intime ; Courtney Barnett cherche un amour perdu, s'interroge sur une rupture, regarde le monde par la fenêtre, ne s'inquiête pas plus que ça de la finitude des choses (Stars in the sky are gonna die. Eventually it's fine),... Sa poésie tranquille, faite d'ordinaire et d'associations d'idées originales me semblent ici tourner un peu en pilotage automatique.
Le son ne présente pas de caractéristiques qualitatives particulières. C'est techniquement satisfaisant, sans ambition audiophile. Si le côté « fait à la maison » s'entend un peu, il faut avouer que ça épouse assez bien le concept général de l'album de toute manière. La musique de Courtney Barnett supporterait bien des traitements, elle sonne aussi bien criée depuis un toit que murmurée dans une salle de bain. Techniquement, ça passe assez pour que ça touche, et c'est bien suffisant.
Remis en perspective par rapport à sa courte, mais passionnante discographie, j'avoue tout de même ici un tout petit sentiment de déception. Il manque quelque chose, un petit je-ne-sais-quoi difficile à définir. Un lick de guitare ravageur, une chanson plus agressive, un vent de folie douce plus prononcé, l'envie d'en découdre que l'on pouvait entendre auparavant ? C'est un album dont on peut dire qu'il sonne bien, mais pas grand chose d'autre. C'est juste un album de Courtney Barnett de plus, et c'est un peu dommage de n'avoir pas davantage de choses à dire que ça, de n'avoir pas plus de raisons de s'enthousiasmer quand on connaît par ailleurs le talent réel de cette artiste. On espère qu'elle trouvera le coeur et le temps d'affuter ses armes pour rebondir et proposer quelque chose de plus captivant la prochaine fois.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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