Depuis 2008, chaque album de R.E.M. est réédité à l'occasion de son 25ème anniversaire. Cette année, c'est le tour de New Adventures in Hi-Fi et rien ne pouvait me faire plus plaisir que d'avoir une occasion de mettre ce disque en avant.
Attention, ce billet va comporter beaucoup de photos avec du noir et blanc.
J'allais écrire que New Adventures in Hi-Fi est un de leurs meilleurs albums, mais il faut bien avouer que leur discographie comprend un nombre indécent de meilleurs albums.
Oui, j'aime beaucoup R.E.M.
Et vous aussi, j'en suis sûr.
Je n'ai donc pas à vous rappeler que, sorti initialement en 1996, il s'agit du dixième album du groupe, et qu'il est important à plus d'un titre. C'est en effet le dernier opus à faire figurer le groupe dans son line-up original, ou pour le dire autrement, c'est le dernier avec le batteur Bill Berry qui quittera R.E.M. l'année suivante. C'est aussi le dernier album du groupe produit par Scott Litt, l'homme aux manettes sur tous leur disques majeurs. Il paraît que c'est aussi leur album le plus long – si on excepte les compilations bien entendu. Il est vrai qu'avec ses 14 titres pour 65 minutes, il prend un certain moment. Je pensais que Up (l'album suivant) était plus long, mais en réalité il fait une minute de moins. Enfin, c'est un disque qui paraît alors que le groupe est sans doute au sommet de sa popularité et de sa créativité. New Adventures in Hi-Fi clôture la parenthèse enchantée qui aura vu ce groupe pas comme les autres sortir des albums tous plus intéressants les uns que les autres pendant quinze ans et tutoyer le génie plus souvent qu'à leur tour. Après ce sera toujours bien, mais ce ne sera plus pareil (à mon humble avis du moins). Je n'ai sans doute pas à vous rappeler tout ça. En outre, ce sont des informations directement accessibles sur wikipedia, donc même si vous ne le saviez pas, vous auriez pu l'apprendre très facilement.
Ce que vous ignorez en revanche, c'est ce que je pense de ce disque. Commençons par l'objet, puisque c'est un peu à ça que cet espace est dédié.
J'ai cet album dans une édition très standard, un jewel case avec un fond noir. La mise en page de la pochette est sobre et plutôt classe. R.E.M. s'est souvent illustré pour le mauvais goût très sûr de ses illustrations ; c'est donc avec un certain soulagement qu'on découvre ici une toute simple et jolie photo en noir et blanc d'un paysage autoroutier pris depuis un véhicule en mouvement. Le livret intérieur n'en est pas vraiment un : il ne s'agit pas de pages à tourner, mais d'un long dépliant. On y trouve les infos techniques (liste de chansons, noms des musiciens, techniciens, etc...) et quelques photos un peu abstraites et toujours en noir et blanc : bouts de paysages généralement flous, mais aussi une image du groupe, mal cadrée, en partie mangée par le contrejour là où se trouvent les visages. A l'arrière du boîtier, une vue aérienne, sans doute une ville la nuit, encore en noir et blanc. Le disque a largement été enregistré en tournée, le visuel de la pochette contribue – je trouve – à cette impression de déplacement. Le CD lui-même n'est quasiment pas décoré ; il faut se pencher et plisser un peu les yeux pour lire « R.E.M. NEW ADVENTURES IN HI-FI » autour du centre du disque. Bref, de la sobriété et aucune couleur.
C'est un disque très prenant que celui-là pour tout dire. C'est un disque long, on l'a dit : quatorze plages alors que tous les opus précédents se situaient plutôt entre dix et douze. C'est une somme qui vous enveloppe pour un bon moment, une expérience d'écoute exigeante propice à l'immersion. C'est aussi un disque présentant toutes les nuances disponibles alors dans le répertoire du groupe, que ce soit les sonorités acoustiques de Out of Time ou la brutalité des guitares saturées de Monster. Il ne faudrait pas croire pour autant que l'album est disparate ; il garde une cohérence bien à lui, chaque chanson glissant dans un espèce de clair-obscur qui est la vraie couleur de New Adventures in Hi-Fi, que celle-ci s'exprime dans les tempo, les mélodies ou les textures. C'est un disque où les ombres trompeuses du crépuscule le dispute aux teintes estompées de l'aube après une nuit sans sommeil. Sans être une oeuvre dépressive, il faut bien admettre que l'humeur dominante n'est pas non plus à la joie. On évolue dans une atmosphère faite de mélancolie, d'amertume, voire de colère et de tristesse, une palette d'émotions qui fonctionnent déjà généralement bien dans la musique de R.E.M., mais qui ici se trouvent renforcées par une cohérence interne et des chansons écrites par un groupe particulièrement en forme. Malgré les conditions d'enregistrement qui ont du varier d'un bout à l'autre de la production (le gros du travail a été fait en tournée, je le rappelle), tout s'écoute en effet comme des pages du même carnet de route.
Mon appréciation de R.E.M. a ceci de particulier qu'elle ne s'attarde que rarement sur les paroles. La voix de Michael Stipe, je l'écoute pour son timbre, comme un instrument parmi d'autre. Et quand par curiosité je lis les textes des chansons, j'avoue que je ne comprend pas toujours tout. Cela dit, il apparaît fréquemment que tel ou tel passage accroche mon attention, une phrase prononcée sur un ton plus étrange, une association d'images plus insolite, quelques mots à l'assonance plus marquante.
I point my nose to the northern star
Practice my t-rex moves and make the scene
Dreaming of Maria Callas, whoever she is
Aluminium, tastes like fear
I like it like that and I know it
I'd sooner chew my leg off, than be trapped in this
I don't know what I'm hungry for, I don't know what I want anymore
You love it. You hate it. You want to re-create it.
You're moving so hard, so fast, so numb That you can't even feel.
I'm not scared. I'm outta here.
Ces répliques façonnent de petits morceaux de poésie dadaïste dont j'aime à goûter – les bons jours – la subtilité.
Si par contre on se concentre sur la musique, New Adventures in Hi-Fi comprend son lot de très grands moments, à commencer par E-Bow the Letter (premier extrait de l'album à l'époque), avec son côté bancal fait exprès et les vocalises hypnotiques de Patti Smith. Et je dis bancal dans le meilleur sens du terme, dans l'idée de quelque chose en équilibre, oscillant d'un point à un autre, prêt à tout moment à tomber. Cette chanson est hantée.
Toujours dans un registre low/mid-tempo, il y a bien sûr How The West Was Won, une autre chanson en douteuse apesanteur, une impression confirmée quand le piano jazzy illumine le milieu du morceau. Ce truc flotte.
Low Desert appartient à cette catégorie, même si la texture est plus rocailleuse.
L'album comprend également son lot de rock lourds et plutôt massifs où la guitare de Peter Buck fait merveille. The Wake Up Bomb, Undertow, Departure, So Fast So Numb montrent à profusion que R.E.M. a toujours su et pu sonner puissant.
Enfin, plusieurs chanson déroulent un entêtement, une répétition mélodique obstinée. Ainsi le final de New Test Leper, ou de Be Mine, trop long de suffisamment de secondes pour qu'on perde un instant la notion du temps, ou encore l'immense Leave, expérience quasi chamanique brutale dont les 7 minutes ne laissent pas indemne.
Electrolite, promenade presque country avec son banjo, son piano et son violon, avec ton un rien désabusée, clôt le disque de belle manière.
Il faut reconnaître que le son de l'album est plutôt dans un mode « in your face ». C'est plein, plutôt fort et assez frontal, surtout sur les morceaux plus rock ; ils en sont presque fatigants. Presque. Toutefois il ne faudrait pas conclure que tout est unidimensionnel et étroit. L'enregistrement parvient à faire passer bien des nuances et d'espace et préserve un bon niveau de détails pour chaque intervention instrumentale ; cette respiration est bien entendu davantage perceptible lors des titres moins énervés... Quoi qu'il en soit, et malgré les circonstances, malgré qu'on pourrait éventuellement souhaiter un son plus aéré, Scott Litt et ses acolytes sont parvenus a tirer le meilleur de leurs machines.
La nouvelle édition, dans sa version minimale de deux disques, se présente sous la forme d'une boîte en carton de type clamshell (comme les rééditions des albums précédents) qui reprend la photo de la pochette originelle. A l'intérieur, on trouve un poster, quatre photos des membres du groupe et le livret. Celui-ci – un vrai livret cette-fois, pas un dépliant – reste dans l'esthétique sombre et sobre, avec du noir et blanc, mais avec moins de photographies ; on y gagne toutefois un essai de Mark Blackwell, un peu décousu, mais pas inintéressant sur R.E.M. à cette époque de leur carrière. Le plat de résistance est constitué de deux CDs, glissés chacun dans son fourreau en carton. Le premier, avec la photo de la pochette de base en négatif, c'est l'album remasterisé. Le second, avec la même photo traitée normalement, comprend les « b sides » et les raretés. Une jolie boîte donc, qui fera très bien rangée avec les autres.
Je n'ai que peu de chose à dire de l'album lui-même. L'amélioration du son ne saute pas aux oreilles, mais de toute manière, je ne m'attendais pas à grand chose pour une oeuvre si récente. Le volume, peut-être, semble avoir été poussé un petit peu, avec le léger ajout de compression généralement associé à ce genre de manipulation. Il faudrait un jour se poser la question de la pertinence de remasteriser des disques si récents, mais j'imagine que sans ça, on perdrait un argument de vente...
Le disque des titres supplémentaires nous apporte quelques petites choses intéressantes. Je passe sur Tricycle, instrumental aussi inoffensif (et inutile) que Zither. Le reste peut se diviser en trois groupes : des titres live, des versions alternatives et des reprises. Tous ont été publiés précédemment sur avec les singles des chansons extraites de l'album à l'époque de sa première exploitation commerciale. Il n'y a rien donc d'inconnu ici pour le fan hard core, mais c'est bien d'avoir tout réuni au même endroit.
Il n'y a que Mike Mills qui a l'air content sur les photos... |
Les lives de Departure, Undertow, New Test Leper, The Wake-Up Bomb et Binky the Doormat nous montrent surtout que le groupe étaient capable de reproduire sur scène le son gravé sur disque. Les chansons étant encore à l'époque assez neuves, elles sont très proches des originaux, peut-être avec un tout petit peu plus de mordant.
Les reprises donnent quelques résultats intéressants, comme le très beau Wall of Death (Richard Thompson) ou le déroutant Sponge (Vic Chestnut). Love Is all Around (initialement de The Troggs en 1967, mais comme beaucoup de personnes de ma génération, je connaissais surtout la version de Wet Wet Wet de 1994) est à mes yeux moins réussie.
Les versions alternatives présentent un document d'archive (une démo de Be Mine), mais aussi des expériences aux résultats... contrastés. Si le remix électro de King of Comedy (un titre de l'album précédent) est à fuir, Leave s'en sort assez bien en mode dépouillé (un titre d'ailleurs déjà disponible sur le disque bonus de la compilation In Time sortie en 2003). Pour être complet, ils auraient pu inclure la chanson Revolution, également enregistrée à cette époque (et heureusement aussi disponible sur In Time).
Il n'y a que Mike Mills qui a l'air content sur les photos (bis)... |
New Adventures in Hi-Fi est un grand disque, un disque passionnant, copieux, et un disque important.
La réédition de New Adventures in Hi-Fi n'est à mes yeux pas nécessaire du point de vue de l'amélioration sonore espérée, et presque dispensable du point de vue des titres additionnels. Ils sont bien, mais on ne trouve là rien de vraiment inédit ou d'essentiel ; on peut vivre sans. Cela dit, si c'est l'occasion, voire un prétexte, pour les néophytes de se plonger dans cet excellent album, ce n'est pas moi qui vais les retenir. Quelle que soit la version disponible, c'est un disque à écouter.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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