Brian May : le retour de son retour dans la lumière

Tout le monde connaît Queen. Tout le monde aime Queen. Je ne vais donc pas revenir sur ce que l'on sait déjà : une vingtaine d'années de carrière, des disques vendus par tonnes, des concerts plein de spectateurs, une reconnaissance planétaire, jusqu'à la disparition tragique du chanteur Freddie Mercury. Si ce dernier était le visage du groupe et son âme artistique, le guitariste Brian May n'était tout de même pas cantonné à un rôle anecdotique, apportant outre son savoir-faire de musicien une écriture plus rock au service des morceaux très musclés du répertoire. Keep Yourself AliveNow I'm HereTie Your Mother DownWe Will Rock YouFat Bottomed GirlsHammer To FallI Want It AllHeadlong et même The Show Must Go On, pour ne citer que les titres les plus emblématiques, lui doivent tout ou presque.

Brian May travaillait depuis la fin des années 80s sur son album solo, mais la mort de Mercury le poussera à boucler le projet et à le publier dès la fin de l'année suivante ; sa façon à lui de vivre son deuil à travers le travail, semble-t-il. Back To The Light est donc le premier album solo de Brian May, le premier de ses deux vrais albums solo en fait ; oui, c'est une discographie plutôt réduite.

Ce disque, je ne l'ai pas possédé tout de suite tel quel entre les mains. Je l'ai en effet surtout écouté sous la forme d'une copie sur cassette faite à partir du CD emprunté à un copain. Oui, ça se faisait beaucoup en ce temps-là, chez les ados fauchés... Et longtemps je me suis dit : « tiens... tu ne rachèterais pas ce truc-là en CD, maintenant que tu as de l'argent à consacrer à ce loisir ? » et puis à force de procrastination, l'occasion ne venait jamais. Peut-être parce que j'écoutais de moins en moins la musique de Queen d'ailleurs aussi. Mais voilà que l'année dernière, le grand guitariste frisé a lancé une campagne de réédition de ses oeuvres solo, en commençant par – je vous le donne en mille – Back to the Light ! Avec un peu de retard donc, autant en profiter pour l'acquérir enfin sous cette nouvelle livrée.

J'ai opté pour l'édition deux CDs : un disque pour l'album remasterisé, un autre disque (baptisé Out of the Light) pour les bonus (une version avec vinyle existe aussi). L'ensemble est emballé dans un étui carton qui se déplie en trois volets : un par CD et un pour le livret. Le plus gros reproche que je peux faire à ce contenant, c'est l'ouverture du premier volet, située à droite, vers le centre donc, qui rend délicate l'extraction du disque. Vraiment, on risque de déchirer un peu plus le carton à chaque fois que l'on essaye d'extirper la précieuse galette. La mise en page et le fond blanc dominant de la pochette originale de 1992 ont globalement été conservés : un Brian May pensif, presque de profil, probablement penché sur son instrument, occupe la plus grande partie de l'espace. Son nom apparaît deux fois en haut à droite (une fois en cursive, comme une signature, une fois en capitales d'imprimerie) tandis que le titre de l'album est plus bas devant un étrange symbole étoilé. Les disques eux-même sont sobrement blanc pour l'un, noir pour l'autre, avec juste écrit « Brian May » et le titre. Enfin le livret, abondamment illustré de photos du musicien, contient paroles des chansons, informations techniques et quelque mots du guitariste pour présenter son travail ; on a de quoi lire.

L'album principal contient 12 plages pour une durée de cinquante-et-une minute et c'est un disque plutôt énergique, puissant. On le qualifierait sans doute de « rock pour stades », ce qui n'a rien d'étonnant vu le pédigrée de l'artiste. En tout cas, celui-ci ne retient pas ses coups : le résultat ne manque pas d'entrain, même si des morceaux plus calmes, plus lents (ballades ou blues) viennent assurer un peu de contraste. Sans être un chanteur techniquement accompli, Brain May s'en sort de manière satisfaisante sur le plan vocal, mais c'est surtout son formidable jeu de guitare qui occupe le devant de la scène. On retrouve ici le son chaud et plastique largement illustré dans le répertoire de Queen. Le guitariste anglais fait partie de cette classe privilégiée de musicien possédant un style immédiatement reconnaissable (son instrument unique ne doit pas y être étranger) et, à condition d'apprécier l'énergumène, c'est un bonheur pour les oreilles de l'entendre dans ce nouveau répertoire. Toujours mélodique et accessible, le travail de Brian May réussit une belle synthèse entre technique et expressivité ; il sait utiliser le son de sa guitare comme une voix propre, il semble la modeler à son humeur avec une incroyable aisance. Certes, c'est parfois un peu gras, mais dans des quantités qui préviennent l'indigestion.

Bien qu'elles ne fassent pas figurer de textes dignes d'un premier prix à un concours de poésie, musicalement la plupart des chansons sont vraiment très efficaces. Back to the Light ou le très prenant Driven by You propulsent l'album avec vigueur, mais j'ai une grosse préférence pour la sauvagerie pyrotechnique de Resurrection. Quelques morceaux de rock 'n' roll bien délirants comme Love Token ou Rollin' Over (une reprise des Small Faces) viennent compléter le tableau dans le registre « lave en fusion ».

Sur un tempo plus apaisé, c'est la guitare acoustique du touchant Too Much Love Will Kill You qui emporte la palme, devant Nothin' but Blue (un blues un peu classique, mais compétent) et le sympathique Just One Life.

Moins essentiel : l'instrumental Last Horizon, un morceau un peu stérile et – il faut le dire – un peu kitsch, avec sa boîte à rythme et ses changements de tempo venus de nulle part.

Brian May s'est occupé d'une grande partie de la production et de la réalisation de son album, touchant à divers instruments et machines, épaulé par l'ingénieur du son Justin Shirley-Smith (déjà collaborateur de Queen). Parmi les musiciens associés, j'accorde une mention particulière pour Cozy Powell, batteur sur la plus grande partie des titres et surtout du break de Resurrection. Disparu en 1998, ce musicien peut s'enorgueillir de fameuses collaborations (Jeff Beck, Rainbow, Whitesnake, Black Sabbath,..) et fait un travail puissant sur ce disque-ci.

L'album principal est donc globalement bien sympathique et on sent que c'est fait avec enthousiasme. Je ne sais pas si je peux dire la même chose du disque bonus... Celui-ci comporte d'abord trois variantes instrumentales de chansons du premier disque, sous-titrées « guitar version », et où précisément la guitare électrique vient remplacer la ligne de chant. C'est assez peu intéressant. Il y a ensuite trois versions alternatives de Driven by You (dont une destinée à une publicité à l'époque), sans beaucoup d'intérêt encore, à par peut-être la « Cozy and Neil version ». Suivent enfin plusieurs titres live, et là ça devient un peu plus consistant. On a droit à un Tie Your Mother Down capté lors d'un passage dans l'émission de télévision « Tonight Show with Jay Leno » du 5 avril 1993 (avec le guitariste Slash en invité), puis quatre titres enregistrés lors d'un concert du 15 juin 1993 (pendant la tournée qui suivit Back to the Light donc). Ceux-ci sont très certainement des extraits du disque Live at the Brixton Academy, publié en 1994. Face à la relative pauvreté des autres « bonus », je me demande s'il n'aurait pas été plus avisé (et intéressant) de mettre carrément tout cet album live en bonus ici... En résumé, ce second disque, à moitié réussi, est plutôt dispensable.

Le son est au niveau de ce que l'on peut attendre d'un disque de cette époque remasterisé aujourd'hui : ça sonne, mais c'est heureusement moins brutalement fort que ce que l'on aurait pu craindre. Tout ça reste une entreprise rock plutôt basique, mais le mixage n'empêche pas de profiter de quelques nuances. C'est donc globalement bien fait.

Se pencher à nouveau sur cet album après si longtemps a fonctionné comme une petite madeleine de Proust, un rappel d'une époque un peu plus rudimentaire où nos baladeurs à cassette étaient nos meilleurs amis. A propos de cassette d'ailleurs, j'ai par curiosité réécouté la vieille cassette mentionnée au début de cette notice. Après presque 30 ans, dont une grande partie oubliée dans un carton à la cave, elle sonne encore presque bien... pour une cassette enregistrée avec du matériel d'entrée de gamme. Il y a moins de clarté que sur le CD, moins de dynamique aussi, puis on a parfois des petites chutes de volume ; l'âge de la bande peut-être... mais quoi qu'il en soit, j'ai entendu bien pire et la qualité des chansons suffit à faire oublier ces réserves.

Remember these ?...

On remarquera que sur cette bande j'avais alors ajouté plusieurs chansons de l'album solo suivant de Brian May, Another World, paru en 1998, un disque à mes yeux moins réussi. Entre temps, il aura bien sûr oeuvré au dernier et posthume album de Queen : Made in Heaven (1995) où l'on trouve d'ailleurs une version antérieure de Too Much Love Will Kill You chantée par Freddie Mercury. Par après, Brian May ne réalisera plus d'album solo. C'est certes un peu dommage, mais vu le temps passé à concocter chaque disque, je me dis qu'il n'avait peut-être pas la productivité suffisante pour alimenter une carrière solo soutenue. Finalement il retournera plutôt travailler avec les autres membres du groupe Queen sur des projets quelque peu oubliables.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

Commentaires