Le nouvel album d'Eddie Vedder


Pearl Jam, c'est un de mes groupes préférés. Point. Et Eddie Vedder, c'est le chanteur de Pearl Jam. A priori, rien que des bonnes raisons de suivre d'un peu plus près le bonhomme, non ? Et bien en fait, pas vraiment. Je ne sais pas trop pourquoi, mais ses incartades hors de Pearl Jam n'ont jamais réussi à provoquer en moi plus qu'un haussement de sourcil. Il faut avouer que ces pas de côté étaient pour le moins limités. Il y a d'abord eu quelques chansons écrites pour la musique du film Into the Wild en 2007 et je ne suis pas très « musique de film ». En plus, le disque dure environ une demi-heure, c'est quasiment un EP à ce compte-là. Ensuite il y a eu Ukelele Songs (2011), un disque qui – comme son titre l'indique – est composé de chansons interprétées au ukelele. Il y a des compositions originales, mais aussi des reprises, et encore une fois, c'est une œuvre assez courte (en plus d'avoir l'air très austère). Bref, ce sont des projets qui viscéralement ne débordent pas d'ambition. Ce sont des récréations, des petites choses sans conséquence, sans urgence, sur lesquelles il sera toujours bien temps de revenir le jour où on s'ennuiera. La situation est tout autre avec Earthling, paru au début de cette année (en février, pour être précis) : on a cette fois un « vrai » album, personnel, solide, autonome. Examinons cela en détail.

La version CD de base consiste en un fourreau cartonné en trois volets. Aucun livret n'est fourni, toutes les informations (titres de chansons, noms des musiciens, détails légaux,...) sont imprimés sur les volets en carton. Des photos d'Eddie Vedder sont intercalées entre les blocs de texte Et tout baigne dans une esthétique de clair-obscur bleuté. J'aime beaucoup la couleur choisie d'ailleurs. Et la photo de la pochette, Vedder brandissant une guitare vers une sorte de vortex blanc figurant un genre d'astre, n'est pas mal du tout. On retrouve le motif du vortex imprimé sur le CD.

Cet album enregistré entre Los Angeles et Seattle est produit par Andrew Watt pour Seattle Surf (le label de Vedder), Republic Records (qui avait déjà accueilli les dernier album de Pearl Jam il y a deux ans) et Universal. Le disque se décompose en 13 chansons. Si Eddie Vedder garde le monopole de l'écriture des paroles, les musiques sont le résultat de collaboration entre lui, le producteur (qui joue aussi de la basse) et les autres musiciens : Josh Klinghoffer (clavier, guitare) et Chad Smith (batterie), deux transfuges (entre autre) du groupe Red Hot Chilly Peppers. Les indications d'instrument sont à prendre sans dogmatisme. En fait sur ce disque, tout le monde touche un peu à tout. Parmi les musiciens plus occasionnels, on compte Benmont Tench (venu des Heartbreakers de Tom Petty pour jouer de l'orgue Hammond), Olivia Vedder (la fille d'Eddie qui vient faire quelques vocalises), mais aussi Stevie Wonder (hamonica), Ringo Starr (batterie) et Elton John qui vient chanter sur un titre en duo avec Eddie. Je suppose qu'avec la notoriété d'Eddie Vedder aujourd'hui, la présence d'invités de prestige est presque inévitable, mais heureusement ces interventions restent le plus souvent très discrètes et empêchent l'album de devenir une sorte de bottin mondain. Enfin, il y a tout de même un invité un peu plus particulier que les autres : la dernière chanson fait intervenir la voix du père de Vedder, Edward Severson Jr., disparu en 1981.

Et alors ? Comment ça sonne ? Ma foi, comme un bon album de rock adulte teinté d'americana, avec des vraies bons bouts de mélodies plutôt inspirées. Les éléments organiques (piano par exemple, mais surtout guitare sèche), même au second plan, influencent définitivement le rendu global, et malgré quelques titres qui se veulent plus durs, il est difficile de se dire vraiment que l'on écoute du heavy metal. Immanquablement, on va aussi se demander si ça ressemble à du Pearl Jam et c'est vrai, que superficiellement il y a une claire parenté. Après tout, la voix d'Eddie Vedder est une composante essentielle de l'identité sonore du groupe et on la retrouve bien mise en valeur ici. Cependant, on perçoit vite les différences. Les guitares sont globalement moins incisives, moins massives. On sent également que ce n'est pas Mike McCready qui est à la manoeuvre lors des solos. Et d'un point de vue composition, c'est plus léger, peut-être un peu plus pop et acoustique que ce que Pearl Jam propose d'habitude. En fait si on devait mettre des étiquettes sur les influences perçues, ce sont les noms de Tom Petty ou de Bruce Springsteen qui viendraient d'abord à l'esprit.


Abordons les chansons d'ailleurs. L'album comporte son lot de très bons moments :

Invicible sonne un peu improvisée, mais constitue une chouette intro.

Long Way et The Dark sont très vite devenues mes préférées de l'album. C'est de l'americana intelligente, des chansons où il se passe quelque chose, une impression confuse que tout se met en place, que l'on comprend comment tourne tout le petit univers inclus dans ces quatre ou cinq minutes de musique.

Power of Right, Good and Evil et Rose of Jericho sont les rocks brutaux du disque, avec de bons riffs de guitare. Rien d'innovant, mais ils sont bien à leur place.

Brother the Cloud, Fallout Today et Mrs Mills fonctionnent plutôt bien, mais sont un peu moins directement marquantes, un peu moins essentielles à mes oreilles, demandent peut-être plus d'écoutes. Cela dit, telles qu'elles sont placées, elles n'appauvrissent pas le disque, bien au contraire (Mrs Mills a un petit je-ne-sais-quoi qui me rappelle Penny Lane).

The Haves est une ballade qui rappelle beaucoup Just Breathe ou The End de Pearl Jam (sur l'album Backspacer de 2009). C'est peut-être un peu sucré, ce ne sera peut-être pas du goût de tout le monde, mais je trouve que ça fonctionne.

Plus dispensable, Picture, le duo avec Elton John. Il y a un bon groove, mais je suis moins convaincu par le refrain. Disons que ça passe, mais elle détonne un peu par rapport au reste.

Je ne sais pas encore où ranger Try, un titre assez rapide, fortement colorée par le son de l'harmonica qui lui donne un relief presque country.

Enfin, le court On My Way (2 minutes) est plus un (agréable) générique de fin qu'une vraie chanson.


Le son est propre et relativement puissant. Toutefois, si l'on remarque dans le mixage un soin particulier pour tirer parti des arrangements sophistiqués et pour laisser leur place aux différentes textures sonores, les mettre en valeur comme autant de strates instrumentales, force est de constater qu'une compression dynamique très poussive vient réduire à peu de choses ces ambitions. Tout est brutalement remis à plat. Le son est plein, mais aussi moins subtil. C'est l'époque qui veut ça, j'imagine...

Au final, sans être parfait, c'est un disque plutôt efficace, diablement plaisant, clairement du bon côté des choses, et surtout sincère, que nous a concocté Eddie Vedder. Ce n'est pas du Pearl Jam, mais ce n'est pas plus mal ; c'est une autre proposition, une fenêtre ouverte sur ce dont est capable Vedder, est c'est plus que prometteur. Au point peut-être de me donner envie d'enfin examiner plus attentivement ses autres réalisations.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

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