Masters Classic / Mozart : on s'est fait avoir ?

J'ai un petit coffret sobrement nommé The Greatest Classical Collection, arrivé dans la discothèque familiale de ma jeunesse il y a trop longtemps pour que je me souvienne de tous les détails de cette affaire. Qui a acheté ce truc ? Aucune idée... Je crois que c'est mon père qui l'a un jour apporté. J'imagine mal qu'il ait pu l'acheter lui-même ; le lui avait-on offert ? Comme il n'avait pas l'usage des disques compacts, c'est moi qui l'ai pris, mais il a bien vite été oublié dans un coin, accumulant la poussière. Je le sortais parfois pour écouter le Boléro de Ravel, mais pas grand chose de plus. Après toutes ces années, il est peut-être temps de l'examiner d'un peu plus près.

 
Il s'agit d'un boîtier de type « clamshell », renfermant dix disques, chacun glissé dans son fourreau en carton. A priori, chaque disque est consacré à un seul compositeur, sauf dans le cas de Ravel et Bizet qui doivent partager le même CD. L'esthétique de l'ensemble est assez conservatrice, voire sérieuse, mais homogène, avec des photos de tableaux représentant des paysages sur fond marbré, et sans fioritures visuelles sur les disques eux-mêmes. Pas de livret ; toutes les informations jugées pertinentes sont imprimées sur les étuis en carton. On notera l'insistance sur la durée de chaque disque (plus de 60 minutes de musique), comme si c'était un argument commercial imparable. En résumé, tout cela laisse deviner un positionnement « budget » du produit.

Le label est probablement Masters Classic, mais on peinera a trouver le moindre renseignement valable sur eux. Il y a une adresse aux Pays-Bas imprimée un peu partout ; ça se trouve dans un zoning sans âme aujourd'hui, sans doute comme il y a trente ans. Il ne s'agit certainement que de l'adresse de l'importateur. Sur les disques on lit aussi « Licensed by MEDIAPHON ». Alors eux, ils semblent un peu moins obscurs et « appartiennent » aujourd'hui à une structure appelée « Countdown Media » qui vend de la musique comme on vend du papier peint. Bref, on n'en sort pas, on est dans le monde de la production de masse essentiellement commerciale et utilitaire.

A l'obscurité du label, fait écho l'obscurité des orchestres et des chefs mentionnés. Ce dernier point ne m'avait pas surpris alors. Il faut bien diminuer les frais quelque part, donc pas de Berliner Philharmoniker ou de Karajan ici, mais d'inconnues formations issues peut-être d'Europe centrale. Pourquoi pas après tout ? Ces gens ne jouent probablement pas plus mal que d'autres d'ailleurs. Que peut-on apprendre de ce côté-là ? Le résultat va peut-être vous étonner...

Je prends le premier disque, consacré à quatre oeuvres de Mozart, et je lis le nom de « Camerata Academica Salzburg », un orchestre de chambre a priori légitime. Il est dit être dirigé tantôt par Hermann Abel (pour les trois premières oeuvres), tantôt par Alexander von Pitamic (pour la quatrième). Maintenant accrochez-vous, ces gens n'existent pas. Ces noms sont des pseudonymes utilisés par un certain Alfred Scholz, dit aussi Alberto Lizzio, un chef d'orchestre, mais surtout un homme d'affaire spécialisé dans ce qu'il faut bien appeler du trafic d'enregistrements. Sous différents noms (pour lui-même ou pour les groupes de musiciens qui travaillaient pour lui), quitte à utiliser frauduleusement si nécessaire des dénominations par ailleurs authentiques (comme notre formation autrichienne), il enregistrait parfois, revendait souvent, toute sorte de d'oeuvres classiques à destination de collections bon marché telles que la mienne. Ce n'était pas cher, mais il en produisait et diffusait beaucoup ; ça devait compenser. Pourquoi des faux noms ? Je pense « évasion fiscale », mais d'autres raisons ont pu être évoquées, comme vouloir dissimuler le travail d'artistes contractuellement engagés ailleurs, égarer le client avec des appellations imitant des noms plus prestigieux. Je vous passe les détails (allez consulter les liens à la fin mon billet pour en savoir plus), mais on a en fait là un des principaux pourvoyeurs de ces disques peu avenants, vendus au kilo, et qui encombrent à présent les bacs des solderies et des vide-greniers, pauvres reliques destinées à faire du remplissage sur les étagères d'amateurs peu avertis. Au-delà de questions de prestige ou de célébrités, c'est aussi une question de reconnaissance qui se pose ; on a là de la musique dont on ne connaîtra malheureusement jamais les vrais interprètes. On nous vend du Mozart, mais qui joue ? Masters Classic s'en moque bien. Alfred Scholz semble avoir été actif surtout dans les années 60 et 70. Le gros de son « catalogue » est donc analogique, mais il semble avoir aussi possédé des enregistrements numériques produits au début des années 80, ce qui serait probablement l'origine de la musique gravée sur les disques ici présents. Du moins si l'on choisit de croire en la fiabilité du « DDD » qui est écrit sur la boîte...

Bon, soyons courageux, examinons de plus près le contenu de ce premier disque consacré à Mozart, puisqu'on l'a sous les yeux. Sans se lancer dans une biographie détaillée de Mozart, je suppose que comme moi, vous savez déjà que c'est un compositeur qui malgré sa courte vie (il est mort à 35 ans) a composé des tas de choses, vraiment beaucoup de choses, et ce dans des tas de genres différents (operas, symphonies, concertos,...) Dès lors on est perplexe devant le choix des oeuvres opéré par Masters Classics.

Certes il y a la sérénade Eine kleine Nachtmusik (Une petite musique de nuit, K. 525), un morceau en effet très populaire, mais le reste ? Pourquoi ces divertimenti K. 136, 137 et 138, oeuvres de jeunesse d'ambition limitée ? Pour une anthologie appelée The Greatest Classical Collection, je trouve insolite qu'on fasse l'impasse sur – au hasard – la symphonie N° 40, le concerto pour piano N°21, la marche turque, la Flûte enchantée, le requiem... Bref, c'est étrange et je ne suis pas sûr que ce disque donne un bon aperçu du meilleur, du Greatest de Mozart.

Reprenons. Les divertimenti K. 136, 137 et 138 sont des pièces légères, à but d'aimables divertissements, exécutées par de petites ensembles d'instruments à cordes. Ils sont aussi appelés « Salzburg Symphonies ». Salzbourg, je devine pourquoi : ils ont été composés en 1772 quand Mozart résidait encore dans cette ville. Mais « symphonies », je ne comprends pas trop... Quoi qu'il en soit, c'est encore le travail d'un jeune compositeur (rendez-vous compte qu'il n'a que seize ans), très probablement sur commande de son employeur du moment, le prince-archevêque de Salzbourg (précisément).

La petite musique de nuit, également plutôt une pièce légère d'agrément, a quant à elle été composée quinze ans plus tard, à un moment où Mozart, installé à Vienne, a pris son indépendance. Composant alors d'abord pour lui, on remarquera tout de suite que cette oeuvre dénote largement plus de personnalité et d'inventivité que les précédentes. Elle ne semble pas avoir été jouée de son vivant, mais sa popularité ultérieure est manifeste. Vous-même, là, je suis certain que vous la connaissez sans le savoir.

J'ai peu de choses à dire sur les trois divertimenti. C'est certainement mélodieux, du moins agréable à l'oreille, certainement pas déplaisant, mais pas non plus renversant. Difficile de ne pas y entendre de la musique essentiellement d'accompagnement, des airs faits pour meubler, créer une certaine ambiance pendant que vous êtes pris par autre chose. C'est joli, oui, mais pas inoubliable, certainement composé avec compétence, mais à dessein sans beaucoup d'innovation ou de prise de risque. Les alternances habituelles rythme lent / rythme plus enlevé des trois mouvements assurent un semblant de variété. C'est on ne peut plus classique dans le sens le plus neutre du terme, à la limite du prévisible peut-être, comme si l'on assistait à la simple application d'une formule. Je suis sans doute un peu dur, mais pour ce que j'ai cru comprendre, ce n'est pas dans ses compositions de jeunesse que Mozart brillait le plus. C'était un virtuose, un artiste précoce, certes (et c'est déjà pas mal – moi au même âge, je confondais encore ma gauche et ma droite), mais ses vrais chefs-d'oeuvre ne viendront que plus tard.

La petite musique de nuit, c'est une autre affaire. La mélodie du premier des quatre mouvements (allegro) démontrant une originalité plus évidente est entrée à juste titre dans la liste des airs ultra connus de la musique classique, au même titre que, par exemple, le « printemps » des Quatre Saisons de Vivaldi. Voilà encore quelque chose qui a du animer les mises sur attente de quantité de standards téléphoniques depuis des décennies. Toujours écrite pour une petite formation de cordes, c'est également une oeuvre très classiquement classique, équilibrée et agréable, confortable – dans le sens où tout semble couler de source naturellement –, mais elle est aussi très sensiblement plus élégante et recherchée. Les trois mouvements suivants (romance, menuet, rondo) sont moins marquants, plus répétitifs, comme le suggèrent peut-être les noms des danses dont ils sont inspirés, mais ne font pas obstacle à l'impression de sérénité de l'ensemble. C'est une pièce qui remplit parfaitement son rôle d'accompagnement musical de qualité pendant les presque vingt minutes que dure son exécution.

Quelle que soit l'identité des musiciens, s'il s'agit de l'orchestre Camerata Academica Salzburg ou d'une usurpation, l'interprétation m'a semblé bonne. Bien sûr je manque d'expérience, de points de comparaison dans ce genre d'exercice, mais rien ne m'a choqué outre mesure. Ces gens n'ont pas appris à tenir un violon pour la première fois de leur vie le jour de l'enregistrement, tout était bien accordé et je n'ai pas perçu de choix de tempo désagréablement trop lent ou trop rapide. Et en même temps... Est-ce un répertoire qui exige beaucoup de ses interprètes ? Aucune idée.

En ce qui concerne la qualité du son, c'est plutôt propre ; ça pourrait très bien passer pour l'enregistrement numérique que ça prétend être. On pourrait aussi trouver que ça manque un peu de clarté, de brillance, même si ça passe. De même, sans que l'on puisse dire que ça sonne « étroit » (on distingue les différents instruments, ils ne sont pas les uns sur les autres), il est vrai que l'espace sonore pourrait être plus large : la musique est comme légèrement contenue, serrée, on sent qu'il y a une marge de progression latérale inexploitée, si je puis dire, mais à nouveau ça passe assez bien quand même.

Quoi qu'il en soit, mon avis sur ce disque reste mitigé : c'est une entreprise commerciale à la limite de l'escroquerie et peu respectueuse des musiciens, avec un emballage très limité et avare en information, voilà qui n'incite pas à la curiosité. Cependant, le répertoire reste au moins et de prime abord à moitié intéressant, l'interprétation semble décente et le son correct. Si on garde en tête qu'il s'agit d'un disque qui ne devait pas être vendu très cher, on sera aussi plus indulgent. Le verdict final dépendra surtout de paramètres extra-musicaux. Ainsi, il n'y a pas vraiment de raisons impérieuses de faire le moindre effort pour acquérir un tel CD ; ces oeuvres doivent se trouver ailleurs dans des éditions plus intéressantes. En revanche, si maintenant et comme moi, vous l'avez déjà sous la main, il vaut bien une écoute ; on ne passe pas un moment désagréable. Dans le même esprit, je vais très certainement jeter une oreille plus attentive sur les autres disques du coffret.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.


Pour les curieux, référence discogs :

https://www.discogs.com/fr/release/7786323-Various-The-Greatest-Classical-Collection

A propos d'Alfred Scholz :

https://www.discogs.com/fr/artist/730304-Alfred-Scholz

https://wiki.musicbrainz.org/Budget_recordings_of_Alfred_Scholz

http://www.abruckner.com/Data/articles/articlesenglish/berkyjohnpseudonym/pseudonyms.pdf

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