Warpaint est un groupe formé en Californie en 2004. Il réunit Emily Kokal (voix / guitare), Theresa Wayman (voix / guitare) et Jenny Lee Lindberg (voix / basse), vite rejointes par l'australienne Stella Mozgawa (voix / batterie). Ce dernier nom ne doit pas être inconnu aux plus attentifs d'entre vous ; elle est en effet citée dans mon récent texte sur le dernier album de Courtney Barnett, projet où elle officiait en tant que musicienne et co-productrice.
J'aime beaucoup Warpaint, leur rock alternatif, crépusculaire et un peu paresseux, les guitares lentes, les percussions inventives, les vois cotonneuses et les harmonies entêtantes. Leur chansons sont volontiers hypnotiques et un rien décadentes. En outre elles ne sont pas hermétiques à quelques influences électroniques bien dosées. L'ambiance penche donc vers un "shoegaze" méditatif de bon aloi. On parle parfois aussi de "dream pop" à propos de leur musique, et c'est vrai que c'est une étiquette qui leur va bien. Enfin on notera une petite évolution dans la facture de leur identité sonore, laquelle progresse depuis les facettes un peu rudes du premier opus, vers une production de plus en plus soignée.
Leur dernier album, celui qui fait l'objet de ce billet donc est sorti le 6 mai dernier et j'avoue que je ne l'espérais plus. C'est qu'il s'est bien écoulé six ans depuis le précédent disque, une période traversée de diverses excursions solo un peu partout,... au point que je croyais le groupe en sommeil prolongé, voire pire. C'est donc une excellente nouvelle que d'avoir ce Radiate Like This entre les mains.
Le packaging est plutôt minimal : un fin étui en carton se déploie en deux volets (façon gatefold) renfermant d'un côté le CD et de l'autre une simple feuille carrée. Ce minimalisme cartonné est très répandu ces temps-ci ; on va dire que c'est pour préserver les arbres... A l'extérieur, une mise en page très rudimentaire superpose titre du disque, nom du groupe et titres de chansons à une image de ciel nuageux avec des tons bleus et roses. A l'intérieur, un montage photographiques (des images des membres du groupe enfants, je suppose) vient rendre illisibles quelques lignes de texte (titres des chansons à nouveau?) et on retrouve les couleurs dominantes de l'extérieur de la pochette. Disque et feuille en papier partagent la même photo rougeâtre d'une enfant qui lève le doigt, tandis que le verso de la feuille présente les informations techniques et légale. Contrairement aux albums précédents tous parus chez Rough Trade, celui-ci est publié chez Heirlooms et Virgin. Si la photo n'est pas mal, je trouve le lettrage paresseux ; comme si on avait choisit la première police de caractère venue sans se poser plus de question.
Ici comme souvent, c'est Warpaint écrit, compose, interprète et produit l'essentiel de ce qu'on entend, mais parmi les noms de techniciens, ingénieurs et mixeurs venus œvrer sur cet enregistrement, je relève le nom de Tucker Martine, bien connu pour son travail avec Laura Veirs, et la violoncelliste Vanessa Freebairn-Smith responsable des arrangements pour la section de cordes sur la chanson Trouble. D'après ce que j'ai pu lire ici ou là, c'est un disque qui a été écrit, composé et enregistré en ordre dispersé (pandémie, confinement, vous voyez le tableau). Chacune des musiciennes travaillant surtout depuis son propre home studio, c'est un petit exploit finalement d'avoir pu rassembler tout ça en un tout si homogène.
Disons-le d'emblée, l'album est magnifique. On retrouve avec bonheur dans ces 42 minutes tout ce qui fait de Warpaint Warpaint, mais encore un cran plus loin dans le moelleux d'un son toujours plus travaillé et clean. C'est un album qui tient chaud, par comparaison à The Fool (leur premier album vous faisait parfois marcher sur du gravier), mais ce n'est pas une surprise pour qui les a suivi avec attention depuis le début. Dans mon cas, les deux approches me vont très bien.
Champion pose les bases d'entrée de jeu, convainc tout de suite ; un future titre-référence dans leur catalogue.
Hips sonne un peu plus électro-bruitiste, rappelle davantage le Warpaint des débuts, et reste très efficace dans sa capacité à agripper l'attention.
Hard to Tell You me fait l'effet d'un exercice de style (réussi) de réinterprétation d'une esthétique eighties passée à la moulinette de la production propre au groupe. On dirait un titre de Tears for Fears réinventé par Warpaint. Et quelle basse !
Stevie : la même chose que le précédent, mais en troquant la référence new wave années 80 pour une référence R&B un peu seventies. Pour la voix, j'ai bizarrement presque l'impression d'entendre Sheryl Crow quand elle chante de la soul.
Like Sweeteness est une jolie ballade comateuse avec en plus ce genre de final que j'aime, celui qui traîne un peu de façon hypnotique avant de finir.
Trouble a des saveurs de road movie à deux à l'heure et de grands espaces traversés à la vitesse d'un gastéropode, mais j'aime bien.
Proof a un bon groove et des voix qui s'entremêlent puissamment, passant des murmures aux interjections plus pêchues, des vocalises oniriques aux rires inquiétants.
Altar, morceau plus introspectif avec un basse lapidaire, piano jazzy et chant fantomatique, maintient la pression.
Melting est peut-être pour moi le titre le moins intéressant de l'album ; c'est une longue complainte un peu amorphe sans idée mélodique forte, mais avec des percussions un peu irritantes.
Send Nudes est une plaisante porte de sortie plus acoustique, délicieusement lymphatique, sympathiquement ironique, parfaite à cet endroit.
Manque malheureusement à l'appel la chanson Lilys, produite un peu toute seule plus ou moins à la même époque que Radiate Like This, mais finalement exploitée l'année passée à travers la musique de la série télévisée Made for Love (HBOmax). C'est un morceau intéressant, un peu plus dur et percutant que l'album final ; je comprends donc sa non-inclusion pour des questions de cohérence, mais j'aurais tout de même aimé le trouver quelque part sur un support physique.
Globalement, les paroles, les thèmes abordés m'échappent à peu près complètement... C'est volontiers impressionniste, semble-t-il, mais j'aurais du mal à voir quoi que ce soit de très clair. Ma faute sans doute, mais je préfère me laisser porter par le son et l'atmosphère, même si quelques images surnagent et marquent.
I'm an ocean / Breathing in and out / I'm a million years old (Champion)
It's hard to tell you now / That what I want, isn't what I wanted (Hard to Tell You)
So much out there for wanting / Our fate just takes time / I let the dust settle / Let the grapes become wine (Like Sweeteness)
I'm in trouble again / Seems I always have been / Getting caught in the fight / Where no one can be right [...] Did you see me hiding ? / Did you see me low ? / Did you feel me rising or did you wanna watch me fall ? (Trouble)
When I wanna be so inpired / My mind is way too tired (Proof)
Le son est impeccable, plutôt du côté chaud du spectre et sans abus de compression (du moins pour la version CD et pour mes oreilles : rien de fatigant). On y retrouve paradoxalement un espace plutôt vaste, mais également une ambiance de cocon rassurant. Les voix sont bien mises en avant, ne sont pas noyées au milieu des autres instruments, mais gardent aussi cette distance planante qui est un peu la marque du groupe. Rien à redire donc, c'est un disque particulièrement agréable.
Voilà, quoi qu'il en soit, les Warpaint sont de retour en bonne forme et leur disque est définitivement une réussite qui ne déparera pas leur discographie.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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