Il y a longtemps, après une première phase pourtant pleine de bonne volonté, j'ai finalement laissé la musique classique glisser loin de mes préoccupations. Vraiment, je n'en écoutais plus guère, préférant me plonger avec ferveur dans le rock. Et puis bizarrement, un jour, on m'a offert ce disque. Généralement, quand vous êtes invité quelque part, vous apportez un bouquet de fleurs ou une bouteille de vin, mais là, un ami m'a offert un CD. Finalement, ce n'est pas une mauvaise idée ; en tout cas, c'était original. Puisqu'il me l'a présenté comme une nouveauté, on ne devait pas se trouver trop loin de la date de sortie du disque, donc en 2005.
De quoi s'agit-il alors ? Et bien, c'est un enregistrement de quatre sonates pour violon et piano de Mozart, par la violoniste Hilary Hahn et la pianiste Natalie Zhu. Ouf, rien qu'ici déjà, il y a beaucoup à dire.
Commençons par Hilary Hahn. En 2005, la jeune musicienne américaine a environ 26 ans et déjà une carrière qui attire l'attention. Le monde de la musique classique n'a jamais été avare en jeunes prodiges, un type d'artiste facilement « marketable », surtout si l'on présente bien, et Hilary Hahn, repérée dès l'adolescence, ne manquant ni de fraîcheur, ni de charme, n'a pas échappé à cette catégorisation. Toutefois, elle a montré depuis qu'elle était bien plus qu'un feu de paille médiatique, même si à l'époque du disque qui nous occupe, on pouvait encore dire d'elle qu'elle faisait partie de la nouvelle génération, qu'elle était parmi les jeunes « qui montent ».
Pour ce nouveau disque (déjà son huitième), elle s'est associée à la pianiste Natalie Zhu, quasiment une camarade de classe puisque toutes deux ont étudié leur instrument au sein du prestigieux Institut Curtis à Philadelphie. Pour le reste, peu de chose à dire de cette musicienne ; sa carrière n'a pas eu la même trajectoire de premier plan (surtout sur disque) que sa collègue.
Mozart à présent. On a déjà un peu parlé de lui dans ces pages, mais je suis sûr que même sans moi, vous cernez un peu le personnage. Mis à part les exemples dits « de jeunesse » composés alors qu'il est encore adolescent, Mozart a composé environ une quinzaine de sonates pour violon « de la maturité », entre 1778 et 1788, c'est-à-dire entre ses 22 ans et ses 32 ans (3 ans avant son trépas). Je dis sonates pour violon, mais contrairement par exemple aux sonates pour piano que je connais par Beethoven, ici, le violon n'est pas seul ; il est accompagné, en l'occurrence par un clavier, et dans ce cas-ci, un piano moderne. Ces morceaux sont donc plus ou moins bien répartis sur l'ensemble de sa carrière et permettent d'en saisir, d'un certain point de vue, l'évolution.
Oups... j'ai un cassé un coin du boîtier... |
Abrité dans un boîtier de type « jewel case » à fond transparent standard, à côté d'un disque lui-même modestement décoré d'un simple aplat gris, le livret se révèle une partie fort intéressant de l'objet qui nous occupe. Je ne parle pas pour le connaisseur / collectionneur confirmé de ce genre de musique, mais pour moi. Si je ne m'abuse, c'est en effet la première fois que je tenais en main un album original, c'est-à-dire un disque conçu sous la forme voulue (par l'artiste, par le label) pour l'enregistrement qu'il est supposé accueillir et publié à peu près au moment où il devait l'être, pas une réédition ou une compilation ultérieure. Et en effet, dans ce cas-ci, on peut trouver un livret touffu, généreusement doté de textes (repris en trois langues : anglais, allemand, français) et de photos ma foi fort charmantes d'Hilary (et un peu de Natalie). Celle-ci signe même un des commentaires d'ailleurs, une réflexion sur l'importance de la musique de Mozart pour des publics fort divers et nombreux, à commencer par les musiciennes elles-mêmes, sur sa durable pertinence dans notre culture. Il est suivie d'un texte plus académique, signé d'un certain Gonzalo Augusto, sur la place des sonates dans l'œuvre et la carrière du célèbre compositeur. Bref, on a de la lecture. Enfin, c'est un album publié chez Deutsche Grammophon. Je dois avouer que c'était amusant de retrouver le label allemand de mes premières cassettes (certes, depuis cette époque, il est entré dans le portfolio du géant des médias Universal).
Ecouter Mozart rend intelligent. Je crois que j'ai lu ça quelque part, et c'est forcément vrai si je l'ai lu. Dès lors écoutons ce disque et développons notre intellect.
La première chose qui m'a interpellé, c'est que ces quatre sonates ne sont pas présentées dans l'ordre chronologique. Certes, il n'y avait aucune raison qu'elles le soient, mais on peut aussi se demander pourquoi, essayer de comprendre. La sonate n° 24 (K. 376), composée en 1781, ouvre donc le bal. A vrai dire, elle ne manque pas d'impact. Elle sonne plus brillante que les deux sonates qui auraient pu la précéder : la n° 18 (K. 301) et la n° 21 (K. 304), écrites trois ans avant elle. Le fait qu'elle comporte trois mouvements, quand celles-ci n'en ont que deux, la rend un peu plus complète, moins simple, plus engageante pour débuter le récital. La quatrième sonate, plus tardive, la N° 35 (K. 526) remonte à l'année 1787 (elle est contemporaine de la sérénade Eine kleine Nachtmusik déjà mentionnée sur ce blog il y a quelques mois) et vient clôturer le CD de la même manière, plus élaborée, plus sophistiquée.
Le second élément qui m'a intéressé, même si ça doit relever de l'évidence pour une personne plus expérimentée que moi, c'est le caractère élégamment domestique de ces morceaux. D'avantage forcément que pour une symphonie qui implique des dizaines de musiciens, on devine le contexte intime de l'exécution, mais pas au sens d'une sonate au piano. Celle-ci en effet, on peut encore imaginer que l'on puisse la jouer avec soi-même pour unique auditeur, de manière très introspective et, pourquoi pas, narcissique. Ici, par principe, on est au moins deux, on joue aussi pour son (ou sa) partenaire, et je trouve que c'est une démarche bien différente, comme une conversation. En outre, la puissance sonore que l'on peut produire reste contenue : c'est l'ambiance d'un salon, pas d'une salle de concert. Le cadre est donc restreint, on s'imagine les exécutantes à deux pas de nous.
Le troisième point notable de cet enregistrement, c'est pour moi la vigueur enthousiaste de l'interprétation. Il y a un dynamisme que l'on ne trouvait pas vraiment dans le CD des sérénades de Mozart décrit il y a quelques mois, où le jeu, sans pourtant manquer d'une relative énergie, était un peu plus mécanique. Ici, il y a de l'allant, de la résolution joyeuse, de l'accent, une belle expressivité. Ce qui ne veut pas dire non plus que la subtilité soit absente et que tout ne soit que feu et fureur. Les deux musiciennes ont un toucher maîtrisé, délicat ou soutenu selon les circonstances. Hilary Hahn surtout sait utiliser toute la palette offerte par son violon, plaçant ainsi cet instrument bien au-delà de la caricature du crin-crin qui y est parfois attaché par des esprits philistins. Mais si globalement, c'est plutôt enjoué (on a parfois le sentiment que parler de gaieté pour la musique de Mozart c'est un peu énoncer une évidence, mais c'est l'impression qui domine - n'ont-elles pas l'air joyeuse, d'ailleurs, sur la pochette ?), il y a tout de même une petite exception : la sonate n° 21 (K. 304), la seul en mode mineur, sensiblement plus sombre et, paraît-il, contemporaine de la mort de la mère du compositeur. C'est sûr qu'on rigole moins ici, mais c'est une exception.
Structurellement ces sonates sont aussi intéressantes à observer, ou plutôt à écouter d'une oreille attentive. Les premières montrent violon et piano alterner et s'imiter, l'un reprenant globalement les mélodies jouées par l'autre, avec quelques variations, ou encore jouant à l'unisson. A mesure que l'on avance cependant, le violon prend un peu plus son indépendance tandis que le piano se limite davantage (si l'on peut dire) à de l'accompagnement, à soutenir la conversation, tel un « sparing partner » pour un sportif. C'est une évolution reconnue (ce n'est pas de moi, je l'ai lu quelque part), mais c'est intéressant aussi de la constater soi-même (j'ai failli écrire « de visu »). En outre ça aide à comprendre comment le choix des sonates fait ici permet d'amener de la variété dans le récital. De plus, Mozart n'est pas un manche : c'est donc bien sûr éminemment mélodieux, ça s'écoute sans déplaisir aucun, c'est mignon et piquant dans les passages enlevés, touchant et humble aussi dans les passages lents.
La qualité sonore est irréprochable. C'est proprement enregistré et avec suffisamment de chaleur. Les inflexions du violon me semblent bien restituées, de même que la dynamique du piano. Surtout, on garde un certain sens de l'espace, malgré qu'il n'y ait que deux personnes captées. Manifestement, les ingénieurs savent ce qu'ils font.
En définitive, je ne sais pas si écouter ce disque m'a rendu plus intelligent (j'en connais certains qui ont de gros doutes), mais je sais que c'est un joli album qui a agrémenté de belles après-midis. Il m'a aussi fait connaître le nom de la très passionnante et très talentueuse Hilary Hahn, une référence dont je saurai me souvenir lorsque l'envie me prendra de me replonger dans la musique classique.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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