Le nouvel album de Jesca Hoop

Je ne dois pas me tromper de beaucoup en imaginant que peu de monde par ici doit être familier de Jesca Hoop ? Et bien vous avez tort, même s'il y a peut-être quelques raisons pour ça ; elle n'est en effet que peu connue, ou du moins pas aussi (re)connue qu'elle le mériterait. Jesca Hoop est une chanteuse, musicienne, autrice-compositrice d'origine californienne, voyez-vous, mais surtout depuis le milieu des années 2000 à la manoeuvre d'une carrière et d'une oeuvre discographique plus qu'intéressante – en tout cas, à mes yeux – malgré sa relative discrétion. J'espère avoir l'occasion de revenir en détail sur chaque étape de cette fascinante histoire, mais concentrons-nous sur le présent : il y a un nouvel album de Jesca Hoop !

J'avais adoré son précédent opus, Stonechild, sorti en 2019 (déjà trois ans, comme le temps passe...), vraiment un excellent disque, peut-être un des meilleurs que j'avais écouté cette année-là. J'étais donc impatient de découvrir sa nouvelle livraison. Voyons ce que ça donne.

A nouveau nous trouvons le désormais inamovible fourreau en carton de type « gatefold » avec le CD d'un côté et le livret de l'autre. Le livret n'en est pas vraiment un, mais une feuille pliée en quatre avec informations techniques et paroles des chansons. Celles-ci sont écrites l'une après l'autre en lignes serrées, mises bout à bout, remplissant tout l'espace, quasiment sans marge : ce n'est pas très facile à lire. Matériellement, c'est une présentation commune aux autres albums de l'artiste. Visuellement, la direction artistique de l'ensemble est, je dirais, sans compromis. Un dessin un peu bizarre de flamands roses placés symétriquement (ou bien est-ce un seul flamand et son reflet dans un miroir ?) sur la couverture, d'autres oiseaux et des dessins de montagnes et de lacs au trait à l'intérieur. Plus conventionnel : une grande photo de l'artiste sur la feuille/livret, tandis que le CD porte une livrée rouge/rose en rapport avec celle des oiseaux. La mise en page du texte est étrange aussi. Sur la couverture, le nom de Jesca Hoop et le titre de l'album, Order of Romance, font le tour de l'image, quitte à apparaître à l'envers et étirés. Derrière, les titres de plages sont organisés en deux groupes appelés « A » et « B », comme si c'étaient des face d'un vinyle. Selon les indications disponibles, tout ce visuel est du à la styliste anglaise Sophie Darling, plutôt active dans le domaine de la mode habituellement. Bref, ce n'est pas horrible, pas du tout (et d'ailleurs sur des vêtements, ce genre de design passe déjà beaucoup mieux), mais je ne suis pas particulièrement fan de cette pochette. Les couleurs sont plutôt bien cela dit...

La musique de Jesca Hoop a ceci de particulier qu'elle est plutôt inventive et souvent inattendue, même si ça part d'une base folk solide, laquelle se construit autour de la guitare et du chant. La guitare est chez elle ici (et n'est pas avare de fingerpicking), de même que les harmonies vocales aussi travaillées que rafraîchissantes. Attention, originalité ou invention ne rime pas ici avec hermétisme ; cela reste à mon sens mélodieux et accessible, mais ça demande une relative curiosité tout de même. Si les premiers albums de Jesca Hoop pouvaient explorer des univers pop-rock parfois plus puissant, depuis quelques temps on constate plutôt une orientation qui se veut volontairement plus calme et acoustique ; la maturité peut-être, même si c'est là un concept assez éloigné du personnage. Order of Romance poursuit le chemin dans cette veine, mais on peut noter une présence claire et quelque peu rafraîchissante de vents aux contours sensiblement jazzy.

Les compositions font la part belle à nouveau à l'univers très personnel et poétique de la chanteuse, dans la forme d'abord avec sa voix inimitable, faussement effacée, mais capable d'une grande variété de registres (allant du murmure au creux de l'oreille à de plus tenaces expressions), dans le propos ensuite avec ses textes tantôt insolites, tantôt personnels, et parfois les deux ensemble.

En fait, je cherche un peu mes mots... L'œuvre de Jesca Hoop est aussi séduisante que difficile à décrire. La mélodie prend volontiers des tours et des détours, tend des (gentils) pièges, vous perd et vous retrouve enfin. Elle est une artiste unique, fantasque, imaginative, avec un répertoire en évolution constante.

Les meilleurs moments de l'album ? J'ai une grosse préférence pour la chanson Sudden Light qui ouvre l'album. Elle commence avec beaucoup de simplicité puis devient de plus en plus intense, happe l'auditeur et le garde hypnotisé jusqu'à la fin, alors que les choeurs lui donne un irrésistible contour chamanique.

Hatred has a Mother pourrait presque passer pour une marche militaire ; du moins le staccato propulse le morceau comme un régiment derrière une fanfare, mais un régiment de flamands roses qui se déplaceraient sur la pointe des pieds.

Silent Extinction, tout en confidences retenues, poussées du bout des lèvres d'une voix ensommeillée, mais néanmoins entêtantes, est un moment de douceur reposant, bien placé juste au milieu du disque.

Sioux Falls est un sautillant exercice, ludique, avec des allures de comptines. Jesca Hoop change trois fois de registre durant la chanson, à se demander si elle ne serait pas plusieurs. Et peut-être bien que oui, en fait...

Lyre Bird est une jolie petit bijou mélodique et doux-amer qui clôture idéalement le disque. Un moment de réconfort et de mélancolie.

Et tout le reste ne dépareille pas, même si je suis peut-être un peu moins fan de Seven Pounds of Pressure, surtout quand la chanteuse s'exclame (très fort) « each men for himself » ; la première fois (au casque) ça surprend un peu...

Comme pour Stonechild, Jesca Hoop collabore ici avec le producteur John Parish, un nom que reconnaissent sûrement les fans de PJ Harvey. Le son du disque est ma foi plutôt clair et soigneusement travaillé. La voix de la chanteuse est encore une fois magnifiquement bien captée et toute la délicatesse des morceaux, de même que leur architecture parfois complexe sont bien rendues. C'est un beau disque, une addition plus précieuse à une bien honorable discographie, un épisode peut-être un peu moins ambitieux ou inspiré que Stonechild (encore lui) s'il faut absolument pousser la comparaison dans ses derniers retranchements et distribuer des points, mais toujours chaudement recommandable.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

Commentaires