Damned ! Il y a un nouvel album d'Alela Diane. Ce billet risque de ressembler à quelques textes précédents (Laura Veirs, Jesca Hoop) : à nouveau une talentueuse chanteuse américaine, à nouveau un disque accueilli avec autant d'impatience que d'appréhension parce que l'album sorti juste avant était vraiment très bon (Cusp, en 2018).
Intitulé Looking Glass, le petit nouveau se présente dans un mince fourreau carton type "gatefold". Oui, un de plus... Le contraire aurait été étonnant en 2022, je pense. Une jolie photo un peu floue du visage de la chanteuse de profil sur la face avant, les titres des chanson devant des fleurs à l'arrière. Quand on ouvre l'étui, on découvre une autre photo de la chanteuse – l'occasion de rappeler qu'elle est plutôt photogénique. Le CD lui-même reprend le motif des fleurs. Le livret est plutôt bien fait, reprenant paroles des chansons, informations techniques habituelles et quelques nouvelles photographies qui transmettent – je ne saurai dire trop pourquoi – une certaine idée de la quiétude domestique. Les décors d'intérieur, la lumière douce peut-être... Mais voilà, c'est un livret bien mis en page, avec un réel contenu, une chose qui a un peu tendance à disparaître avec les CDs récents, centimètre carré de papier après centimètre carré de papier.
Ce qui ressort en premier des chansons d'Alela Diane, c'est bien entendu sa voie, puissante sans être agressive, douce sans être mièvre, formidablement musicale, avec une petite propension aux vocalises intrigantes. C'est une artiste qui évolue dans un univers plutôt « folk », mais on se tromperait si la première image qu'évoque ce terme est celle d'un chanteur, moitié barde, moitié clochard, gratouillant une guitare cassée au coin du feu, ânonnant une rengaine populaire avec une voix de crécelle. Rien de tout cela ici (à part le feu de camps peut-être) ; le chant est clair, pur, enveloppant, apaisant tout en vous faisant sentir qu'il peut vous emporter aussi facilement qu'une plume. La guitare est délicate et discrète, parfois remplacée par le piano, parfois accompagnée d'autres instruments, mais toujours au service du chant et du maintien d'une ambiance concentrée et respectueuse. Si les premiers pas d'Alela Diane se firent dans des contextes musicaux très austères, très dépouillés, elle a ensuite exploré d'autres possibilités, parfois s'aventurant très près d'un folk-rock plus touffu. Sur ses derniers albums, elle semble avoir atteint le bon équilibre entre une simplicité élégante et l'ampleur sensible des arrangements. Enfin, ce sont des chansons mélodieuses et accessibles – et je le dis dans le meilleur sens du terme. Alela les chante comme avec conviction et immédiateté, comme elle chanterait un air traditionnel, ancien, intemporel, familier. Ces morceaux auraient pu être composés il y a cent ans comme hier que ça n'aurait fait aucune différence.
L'ombre de la pandémie et du confinement plane sur l'album, mais le talent de la chanteuse est de parvenir à en faire des thèmes universels, détachés de l'actualité, mettant de côté les spécificités devenues inutiles pour ne retenir que les émotions (l'isolement, la perte de sens, la frustration,...), lesquelles sont à la fois plus fortes et transposables. Passer une nuit de veille à regarder l'obscurité, se demander de quoi demain sera fait, se retrouver seul(e) entre ses quatre murs, se souvenant du passé, quasiment d'une autre vie... Voilà des états d'esprit qui correspondraient à bien des situation, à bien des profils, et dans lesquels bien des auditeurs (ou auditrices) peuvent trouver quelque chose de familier.
L'album affiche une belle cohérence de bout en bout, dans la qualité de la musique, comme dans la démarche ; les morceaux s'égrènent comme autant de perles identiques du même collier. Jeter une oreille sur les plus intéressants d'entre eux relève de la gageure, tant on pourrait à cet endroit les citer presque tous. J'ai particulièrement été touché par les titres suivants.
Paloma est une introduction parfaite pour l'album, démarrant sur de jolis arpèges, puis montant doucement en puissance, déployant tranquillement son ambiance insomniaque et inquiète.
When We Believed fait montre d'une belle tension, comme si une menace planait. La voix est un peu fantomatique au début, on a l'impression d'écouter les pensées de quelqu'un. On y trouve aussi ces jolies paroles: « All the days inside these walls – Licking the wounds of limbs we lost – When we believed we could have it all ». Bon... Elle le chante mieux que moi.
Strawberry Moon a une structure un peu insolite très déroutante (dans le bon sens du terme) où un couplet sonne comme un pont et inversement.
Dream a River est un bijou de mélancolie, magnifiquement servi par un solo de violoncelle. Je suis conquis à chaque fois par l'irruption de ces cordes au milieu du morceau.
Camelia, porté par un piano triste, discourant de manière symbolique sur la perte et le manque, ne laisse pas non plus indemne. N'allez pas croire que la maîtrise de la voix et le talent des musiciens en dissimule ou émousse l'authenticité, bien au contraire.
Et les autres titres ne sont pas en reste, ne dépareillent pas cette fascinante collection de pépites folk, et s'autorisent même en passant un petit regain de lumière et d'optimisme (All the Light).
L'album a été produit par Tucker Martine dans son studio Flora de Portland (Oregon). Si le studio lui-même n'est pas inconnu d'Alela Diane (le précédent Cusp y a aussi été enregistré), c'est à ma connaissance la première fois qu'elle travaille directement avec ce producteur. Le style de ce dernier m'est bien connu puisqu'il a réalisé presque tous les albums de Laura Veirs. Je le savais donc capable d'un travail très soigné et intelligent et ici il embellit parfaitement les compositions de la chanteuses. C'est donc extrêmement bien enregistré, avec un son impeccable et aéré, un large espace acoustique. C'est peut-être un peu froid ? Limpide ? Peut-être que se rapprocher du feu de camps nous ferait du bien ? Mais en même temps, cette sonorité va bien avec l'aspect intemporelle des chansons, l'épure de la voix, la clarté de l'écriture ? En outre, batteur de son état, il joue également de la batterie sur quelques titres du disques.
Parmi les noms des autres intervenants sur l'album, je remarque la présence du guitariste Ryan Francesconi, qui a déjà collaboré avec Alela Diane par le passé, ainsi que celui de Heather Woods Broderick, multi-instrumentiste peut-être plus connue des fans de Sharon van Etten, et encore le guitariste Carl Broemel du groupe My Morning Jacket. On est quand même un peu dans le monde du rock indépendant américain, comme on pouvait de toute façon s'y attendre. Ah oui, il y a encore un choeur d'enfants dans la chanson Camelia, composé des enfants de la chanteuse, mais aussi entre autres des enfants de Tucker Martine. C'est mignon.
Voilà, on arrive au bout de ce que je pourrais écrire. En résumé, parfaitement dans la lignée de son brillant prédécesseur, c'est un album que je recommande chaudement, à savourer avec une bonne tasse de thé et une assiette de cookies.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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