Quoi ? Il y a un nouvel album de Kula Shaker et on ne me dit rien ? Ce disque portant le titre plutôt insolite de 1st Congregational Church of Eternal Love (and Free Hugs) est sorti en juin de cette année, mais ce n'est que tout récemment que j'ai pu enfin me le procurer.
Kula Shaker, vous situez ? Qui connaît encore ce groupe anglais aujourd'hui, à part ceux qui le connaissent déjà ? Gros succès en 1996 à l'époque de leur premier opus, K (oui, c'est un drôle de titre), mais succès quelque peu éphémère. Rapidement, leur notoriété décline, leur étoile pâlit à l'occasion de paroles malheureuses sur le symbole de la svastika. Ou peut-être que la mode était à autre chose. En tout cas, le groupe disparaît plus ou moins à partir de 1999, finit par se reformer quelques cinq ans plus tard, donne quelques concert, relance les enregistrements et reprend une activité discographique, laquelle propose, certes avec une visibilité nettement plus réduite qu'à leur début et sur un rythme de sortie plus calme, une musique toujours aussi intéressante.
Parlons-en, de la musique. Moi, j'aime bien Kula Shaker. Né dans la foulée (ou sur les cendres encore tièdes) de la Britpop, le groupe joue une sorte de revival rock très teinté « sixties », volontiers un peu heavy, volontiers aussi un peu psychédélique, parfois même avec une touche grandiloquente et progressive, et encore davantage un oeil tourné vers la musique indienne et les ambiances orientales. Le leader, guitariste, chanteur, Crispian Mills, on dirait un peu un croisement entre Ritchie Blackmore et George Harrison, en gros. Les albums sont généreux en riff rétro et en stratégies mélodiques éprouvées certes, mais efficaces. Bref, c'est une musique qui fait du bien. Au fil des albums, ces musiciens se sont un peu assagis, ont un peu élargi leur palette de couleurs, mais restent néanmoins fidèles aux bases de leur style. Le nouvel opus ne changera sans doute pas la donne, tant il reste dans la lignée créative familière du groupe, mais nous allons voir ça en détails.
Notre album du jour se présente donc sous la forme du désormais inamovible fourreau en carton, de type « gatefold » ; un CD d'un côté, un livret de l'autre (vous commencez à connaître). Tout le visuel de la pochette est assez bigarré et puise aux sources de vieux classiques du photomontage / collage psychédélique : Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band, Axis : Bold as Love, Their Satanic Majesties Request, Disreali Gears, pour ne citer que les premiers qui me viennent à l'esprit ; enfin, vous voyez l'ambiance. Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est très chargé et pas vraiment d'un goût exquis. Le livret n'est pas mal du tout : outre les infos habituelles (qui fait quoi), et les paroles, ont a pour chaque titre un sorte de petite enluminure de style médiéval (parfois additionnée de motif orientaux). La décoration du CD est presque sobre en regard : juste quelques étoiles sur fond bleu. C'est publié sur le propre label du groupe, StrangeF.O.L.K, ça dure une heure et ça compte vingt plages.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas avec ce disque que Kula Shaker va opérer la moindre révolution copernicienne. On est stylistiquement en terrain connu : beaucoup de guitares, une ambiance rétro, des textes à vocation un peu spirituelle (dans le sens « mystique », pas « rigolo »). L'originalité ici, c'est que les chansons sont insérées dans un narratif liturgique volontairement bidon qui sert de cadre, comme des chants venant agrémenter un service religieux. C'est marrant une première fois. Ensuite, j'avoue, on passe systématiquement les (heureusement courtes) interventions du prêtre. En tout cas, cette petite mise en scène explique au moins l'étrange titre de l'album. Hormis ces passages parlés donc, le contenu du disque est bien digne des précédentes aventures du groupe. Si on est sceptique, on pensera que ça n'apporte pas grand chose. Si on aime déjà, on appréciera tranquillement les nouvelles chansons.
Pour ma part, je dois dire que de prime abord, c'est un bon crû.
Whatever It Is
est un bon petit rock sautillant, comme Kula Shaker sait en composer
les yeux fermés. Toujours au rayon des morceaux plus durs, on a
aussi Burning Down, 108 Ways to Leave Your Narcissist,
Don't Forsake Me (que l'on espérerait un peu plus long),...
Les riffs volent dans les amplis et on tape du pied en remuant la
tête. C'est important de bien remuer la tête.
Le morceau de bravoure du disque, il faut probablement aller le chercher dans After the Fall, un titre en trois parties, mais divisé en deux (oui, c'est bizarre), étrange et ambitieux, perdu entre des approches funk, heavy ou planantes. C'est du Kula Shaker un peu pompier, un peu emphatique, comme ils savent l'être de temps à autre. Ici, ça va fort, surtout dans le final aux accents de plomb qui font bien proprement trembler les murs.
Les perles du disques se cachent dans les morceaux plus calmes, comme la jolie et charnue ballade Love in Separation, ou dans les plages mid-tempo tels que Farewell Beautiful Dreamer et 303 Revisited. Là j'ai trouvé des petits éléments particulièrement captivants, du genre de ceux qui vous font remettre le disque encore et encore : une phrase particulièrement bien balancée, le son d'une guitare, la présence d'un tambour.
Globalement, si bien sûr on doit considérer qu'il y a des morceaux plus faibles, aucun ne l'est au point d'avoir envie de les passer systématiquement, aucun ne vient ternir l'homogénéité d'un album plutôt cohérent.
Selon le livret, le disque a été enregistré en Belgique, à Lompret (dans la région de Chimay). Oui, je suis d'accord, ça peut interpeller ; ce n'est pas une destination musicale fréquente. Or il se trouve que c'est déjà là que les deux précédents albums avaient été réalisés (en totalité ou en partie), pour une raison finalement assez logique : le bassiste du groupe, Alonzo Bevan, y a installé son propre studio (on le comprend, la région est belle et la bonne bière n'est pas loin).
Puisqu'on parle d'Alonzo Bevan, c'est d'ailleurs lui qui co-produit le disque avec Crispian Mills, comme les deux albums précédents du reste. Paul Winterhart (batterie) et Harry Broadbent (claviers) complètent le noyau de musiciens. Parmi les invités, je relève – davantage que les noms propres – la présence de violon, flûte, saxophone, trompette et bien sûr... sitar.
Le son est au niveau de ce que l'on peut attendre aujourd'hui d'un bon enregistrement rock contemporain, propre et présent. Il ne me semble pas y avoir eu de volonté de sonner artificiellement « vintage », un peu sale (voire même mono, tant qu'on y est), malgré le positionnement un peu passéiste de l'inspiration. Ce qui ne veut pas dire non plus que c'est froid ou « clinique » ; rien n'empêche les guitares de faire entendre les distorsions et saturations nécessaires. Par contre, ça sonne fort et on sent que la compression a été utilisée un peu trop généreusement. C'est un peu frontal, un peu lourd parfois, un peu étouffant. Certes, c'est du rock, l'envie de gonfler les muscles (sonores) peut se comprendre. C'est aussi une signature sonore qui n'est pas inédite chez Kula Shaker. Mais je trouve que les compositions mériteraient plus d'oxygène, plus de subtilité, seraient capable de convaincre sans y injecter cette dose de stéroïde acoustique. On pourrait aussi faire confiance à l'auditeur pour pousser lui-même le bouton du volume s'il le souhaite. Enfin, c'est le son de l'époque et des travers qui l'accompagnent, je suppose – on a déjà rencontré des caractéristiques similaires sur d'autres CD dans ce blog.
En conclusion, c'est un bon album, pas de souci. Les chansons sont bien troussées, les mélodies plaisantes et immédiatement identifiables, l'instrumentation généreuse et servie avec savoir-faire. Avec un titre aussi long et tarabiscoté, je m'attendais peut-être à une initiative plus novatrice, mais pourquoi changer ce qui fonctionne déjà très bien ?
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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