Pas de platitudes pour les Platters

Dites, les gens, ça fait un bon moment que l'on n'a pas écouté du vinyle, non ?

Un peu par hasard, j'ai sélectionné pour vous un disque issu des archives familiales – plutôt du côté maternel, celui-ci, dois-je dire, toujours rangé pas très loin de Fats Domino. Dans mon enfance, ce disque n'a pas tourné beaucoup (du moins certainement pas autant que Fats Domino), mais il y avait souvent un moment pour écouter le premier titre de la face b : Only You.

Les Platters, c'est qui ? C'est quoi ? Les encyclopédies vont vous dire un truc du genre « groupe vocal américain, représentant du genre doo-wop, populaire surtout entre le milieu des années 50 et le milieu des années 60 ». Voilà une description informative, mais un peu terne. Ce qui est plus amusant par contre, c'est le côté insaisissable du « lineup » : la composition du groupe a changé tant et tant qu'une chatte n'y retrouverait pas ses jeunes. Le nom « Platters » est quasiment une marque, comme une équipe de foot au personnel variable. Néanmoins, il semblerait que les membres de la grande époque (1955-1959), celle qui aura vu la naissance des grands succès du groupe soient ceux-ci : Tony Williams (voix principale), Herb Reed, David Lynch, Paul Robi et Zola Taylor.

Jetons un oeil plus attentif sur cet objet. Le titre du disque est « The Platter's Golden Hits ». Je remarque que les mots « golden hits » sont imprimés en jaune pour suggérer qu'il s'agit d'or ; comme c'est subtil. Sur le devant, sur un fond rouge, on a une grande photographie noir et blanc du groupe. Je suppose que ce sont les cinq personnes dont je viens de parler qui sont là (en tout cas, cela semble correspondre, après comparaison avec d'autres photos trouvées sur internet). En bas, on peut lire les titres des chansons. En haut à gauche, il y a un bandeau annonçant « promotion album », dans l'autre coin le logo de la maison de disque « Mercury Records », et en bas à droite l'indication « STEREO ». Cet exemplaire portait encore l'étiquette du prix : 175 francs belges, si ça vous intéresse. Compte tenu de la mention « promotion album », je suppose qu'il s'agit d'une compilation bon marché et que cette somme doit être considérée comme relativement modeste pour un LP. Au verso, où tout est en noir et blanc, on a globalement les mêmes informations : le titre, la liste des chansons (avec cette fois les auteurs, compositeurs et durées), un court texte de présentation, la même photo en plus petit, et enfin un espace publicitaire pour d'autres productions de la même maison. Ils n'ont pas menti : c'est vraiment un « promotion album ». Il y a encore quelques indications techniques cependant : c'est un disque fabriqué aux Pays-Bas. Il n'y a aucune date nulle part, mais il semblerait que cette compilation date de 1977 (c'est une réimpression d'une compilation de 1972), une date cohérente avec ce que je sais des achats de disque dans la famille. On remarquera enfin que nulle part sur la pochette ne figurent les noms des interprètes. Ce sont les « Platters », point. Quand je vous disais que c'était une marque avant d'être des gens... Pour finir, les étiquettes sur le disques sont bleues et font figurer à peu près tout ce que l'on sait déjà.

Alors oui, les Platters en 2023, ça sonne tout de même un peu vieux jeu, un peu désuet. Cette musique rappelle un temps où on mettait des costumes assortis pour pousser des harmonies derrière un micro. En revanche c'est aussi une des raisons pour lesquelles on peut écouter les Platters aujourd'hui : le charme d'une époque révolue, certes un peu kitsch, mais élégante et charmante. On a très vite compris que l'on est dans le registre de la romance, avec des tempos lents, des voix mielleuses et des violons sucrées. Toutefois, on n'est pas si loin du rock 'n' roll parfois, la présente musique « doo-wop » partageant à l'occasion autre chose qu'une simple proximité chronologique avec ce genre. On rencontre parfois – et avec un peu de surprise – quelques accords sur une guitare électrique. On s'amuse aussi à trouver une chanson chantée à ses débuts par un certain Elvis Presley (Harbour Lights). Puisque l'on parle des titres disponibles ici, on notera qu'il y a un mélange de reprises et d'originaux (ceux-ci souvent écrits par le producteur / manager du groupe, Buck Ram), mais c'est aussi une époque où cette distinction est relativement de peu d'importance (tout le monde reprend un peu tout le monde, il y a des standards qui circulent). Anthologie oblige, on suppose que cette sélection doit contenir leurs succès les plus connus, et en effet, il faut bien admettre que des chansons telles que The Great Pretender, Smoke Gets in Your Eyes ou encore l'immense Only You sont bien devenues des classiques, du genre que l'on fredonne sous la douche sans forcément plus savoir exactement d'où elles viennent. Only You, je le considère un peu comme LE slow par excellence. Je dis bien “slow”, donc pas seulement une chanson d'amour ou quoi que ce soit d'autre qui puisse émouvoir, mais quelque chose qui puisse se danser aussi. Et dans cette catégorie, je ne connais pas grand chose qui arrive à la cheville de Only You. Ce titre réussit, malgré les années, à rester plutôt classe, frais et original. Le reste des 16 titres du disque, pareillement mélodieux, agréables, romanesques et un peu inoffensifs, sont tous plutôt courts aussi, dépassant rarement les trois minutes, une caractéristique qui contribue à faire de chaque chanson un petit bonbon musicale vite dégusté. Et on se laisse vite bercer, et la quarantaine de minutes file à toute allure.

Sur le rendu sonore de l'objet lui-même, c'est un disque qui a du connaître des jours meilleurs, mais qui reste encore à peu près digne ; on a connu bien pire en matière de craquements ou de bruit de surface. Passées les premières griffes sur les premiers sillons de chaque face, le son se révèle donc plutôt correct, avec une stéréophonie satisfaisante, une clarté un peu cotonneuse, mais très supportable. D'un point de vue purement acoustique, c'est donc une écoute globalement agréable à défaut d'être lumineuse. Maintenant, pour ces quelques griefs, j'aurais du mal à déterminer quelle part vient de l'édition présente et laquelle de la qualité de l'enregistrement original.

Pour conclure, je voudrais revenir sur la grande photo de la pochette. Dans le temps, quand je la regardais, j'essayais d'élaborer un scénario autour de ces personnages, parce qu'il faut bien avouer que de prime abord on dirait bien qu'il y a quatre personnes qui se fichent un peu de la tête de la cinquième. Aujourd'hui, je trouve que cette interprétation est bien trop limitée. C'est toute la pochette qui se moque de ces cinq personnes ; car au final, si on n'a que ce disque, on ne sait pas qui vous êtes, les Platters...

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

Pour les plus curieux, référence discogs :

https://www.discogs.com/fr/release/641387-The-Platters-The-Platters-Golden-Hits

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