J'ai du mal à croire que je puisse être arrivé si loin dans ce blog sans avoir encore mentionné Aerosmith. Si je l'écoute moins ces dernières années, c'est tout de même un groupe qui m'a accompagné pendant une bonne partie de ma tumultueuse jeunesse ; c'est même par lui que j'ai découvert le hard rock. Il est donc temps d'aller choisir un disque (presque) au hasard et d'écrire quelques mots sur cette musique démoniaque.
Aerosmith est un groupe né à Boston au début des années septante et composé des musiciens suivants : Steven Tyler (chant et parfois d'autres bidules comme de l'harmonica), Joe Perry (guitare), Brad Whitford (guitare), Tom Hamilton (basse) et Joey Kramer (batterie). Fortement inspiré des Rolling Stones et de Led Zeppelin, il propose un rock puissant, paradoxalement à la fois solide et basique, mais aussi volontiers un peu loufoque et bordélique. Voilà ce que je pourrais trouver dans un dictionnaire du rock ou dans une publication encyclopédique du même genre. Entre 1973 et 2012, ils ont pondu une part plutôt décente d'excellents albums, et commis quelques machins moins recommandables aussi. Néanmoins, je trouve que leur bilan est encore positif, même si peut-être c'est aussi le coeur et la nostalgie qui parlent. À une époque ou d'autres cultivaient leur rébellion à coup de Nirvana ou de Red Hot Chili Peppers, moins, je secouais mes cheveux en écoutant Living on the Edge. Quand est venu l'âge de défier ses parents et d'aller dormir sans se brosser les dents, la bande sonore de ma colère prenait la forme de la bande à Tyler et Perry.
Quand on regarde d'un peu plus près la grande histoire d'Aerosmith, on a coutume de distinguer deux périodes. La première couvre grosso modo les années septante, c'est l'âge d'or du groupe, la période des titres mythiques qui construiront la légende. Ensuite, à mesure que l'on progresse dans la décennie, les abus de substances illicites et les querelles d'ego commencent à ronger le groupe qui ressemble de moins en moins à quelque chose. Sursaut au milieu des années quatre-vingt : on désintoxique la bande de p'tits gars et on la remet sur les rails. À la faveur d'une démarche sensiblement plus commerciale accompagnant le développement du clip vidéo et des chaînes musicales dédiées, ils reviennent donc un peu miraculeusement sur le devant de la scène, montrant néanmoins qu'ils en ont encore largement sous le coude. Ce nouvel élan finira par s'essouffler au milieu des années nonante et si des disques continuent de sortir, il faut bien admettre que le grand publie (et l'attention des médias) est passé à autre chose. Ensuite, il faut bien avouer, il y a l'âge, tout ça tout ça, on ne s'attend plus vraiment aujourd'hui à les voir retrouver la moindre pertinence. Il reste un petit paquet de disques donc, une oeuvre moite et poilue qu'il est bon de revisiter de temps en temps comme ici, maintenant, avec ce Live ! Bootleg.
Cet album a été publié à l'origine sous forme de double-LP (1978), mais la version que j'ai entre les mains est un unique CD édité en 1993 chez Columbia (avec remasterisation « super bit mapping », disent-ils). On a un boîtier de type « jewel case » à fond transparent abritant un disque à la livrée écarlate. Une seconde d'introspection méditative sur ce fond transparent, si je puis me permettre : il ne révèle absolument rien, juste du papier tout noir... A ce compte-là, pourquoi ne pas avoir utilisé un fond opaque standard ? Quelle différence ? La transparence a un prix : la fragilité ; le plastique opaque de ce genre de boîter est plus solide, tout simplement. Sur le disque, on retrouve les titres des chansons : seize titres pour un total de septante-six minutes. Voilà une rondelle de plastique bien remplie. Les mêmes informations se retrouvent également dans le livret, lequel se déplie en sept volets et montre encore de nombreuses photographies, celles de l'album original (membres du groupe, moments sur scène), additionnées de reproductions de publicités et archives d'époque. Rien de surprenant en fait, ; c'est une mise en page habituelle des rééditions des disques d'Aerosmith de ces années-là. Petit détail encore, outre les indications techniques et légales, on a aussi pour chaque titre un court texte d'accompagnement supposément écrit par les membres du groupe (et peut-être bien que c'est le cas, après tout...)
Avant de détailler un peu plus le contenu, il est peut-être nécessaire de consacrer quelques lignes au « concept », ou du moins c'est comme ça que je le vois. Dans le grand schéma chronologique de l'aventure Aerosmith, on est quelque part entre les albums Draw the Line (1977) et Night in the Ruts (1979), c'est-à-dire qu'on s'approche de la fin de l'âge d'or, que tout va bientôt dérailler, si ce n'est pas déjà le cas. Dans ce contexte, comment ça a pu se passer ? Etait-ce par obligation contractuelle ? Etait-ce par désoeuvrement entre deux journées improductives en studio ? Toujours est-il que quelqu'un a décidé qu'il était temps de produire un album live, et le groupe n'en avait manifestement pas plus envie que ça... Dès lors, les efforts fournis se sont limités au minimum, mais un minimum déguisé dans un « concept » pour dissimuler le travail de paresseux à l'origine de ce disque. « Et si on faisait comme un « bootleg » (enregistrement pirate), mais officiel ? » ont-ils du se dire entre une bière et une ligne de coke. C'est brillant en effet : on se contente de reprendre les enregistrements de concerts que l'on a déjà, tels quels, sans retouches ou « overdubs », au nom de la spontanéité, et on emballe tout ça dans une pochette à l'image de beaucoup de « bootleg » de cette époque : un visuel peu inspiré, vite fait mal fait à base d'impression sur papier kraft, plus tristement fonctionnel qu'autre chose. Par jeu toutefois, on y inclut même des erreurs d'impression (comme l'oubli de la mention de la chanson Draw the Line à la suite de Mother Popcorn) et des taches de café. Ce n'est pas très beau, et c'est pour ça que, dans son genre, c'est réussi.
A l'écoute, j'avoue que je trouvais de prime abord que ça démarrait très mal avec une version anesthésiée de Back in the Saddle, mais heureusement ça évolue très bien ensuite. D'une part les tubes se succèdent (Sweet Emotion, Walk This Way, Dream On) et sont suffisamment de bonne tenue pour capter l'attention. D'autre part, le programme donne de l'espace aux sympathiques incartades, les variations, les différences d'interprétation que l'on attend souvent d'une prestation live. Ainsi, ce Lord of the Thighs qui s'étire sur près de sept minutes, cette improvisation de Strangers in the Night dans Train Kept A-Rollin', ou la présence de morceaux rares ou inédits : Chip Away the Stone et la reprise de Come Together des Beatles (des titres que l'on ne retrouvera que plus tard sur des compilations). La sélection s'opérant dans tous les albums du groupe déjà parus, du premier (Mama Kin) au dernier (Sight for Sore Eyes), on peut juger qu'elle est à peu près représentative de l'oeuvre du groupe à ce moment de leur carrière, ou du moins qu'elle n'est pas honteuse de ce point de vue-là. La plus grande partie des chansons est empruntée à des concerts de 1977 et 1978, mais il se trouve toutefois deux enregistrements plus anciens, des captations de 1973 diffusées originellement à la radio et placées ici un peu par opportunisme.
Le son est bien sûr de qualité moyenne, mais on a compris que c'était voulu. Ne craignez rien, ça reste tout-à-fait écoutable, mais ça garde un rendu très brut, brouillon. On n'a clairement pas perdu de temps à essayer de clarifier quoi que ce soit par le mixage : voix, guitares, batterie,... tout est un peu au même niveau ; c'est donc assez plat et le chant surtout peine parfois à se détacher du chaos sonore. On n'est pas en face d'une production très sophistiquée, l'objectif étant – on l'a compris – de garder cet aspect « prise en direct » caractéristique des « bootlegs », tout en étant néanmoins sensiblement meilleur que la plus grande partie de ceux-là (ce n'est pas capté depuis le public avec un petit micro). N'ayant jamais écouté le disque vinyle d'origine, il m'est difficile de juger la remasterisation, mais je la trouve correcte et mesurée (on est à une époque où ce genre d'exercice ne consistait pas encore à tout transformer en épuisant béton sonore).
Mon impression sur l'ensemble, je la qualifierais de « variable ». Selon l'humeur en quelque sorte. La pochette est moche, et du point de vue du contenu, ce n'est pas l'album du siècle. En dépit de ces défauts, et vu les circonstances de sa genèse, il fonctionne tout de même bien, dans le sens presque miraculeux du terme. Le répertoire tient à peu près la route, et la folie d'un concert de ce genre est communicative, rendant le tout plutôt fun. C'est du bordel assumé, un spectacle qui manque de se casser la figure entre chaque titre, des chansons poisseuses déroulées avec l'insolence d'un gamin shooté au sucre, des guitares qui vont dans tous les sens avec témérité et tant pis pour les fausses notes... Si c'est un témoignage fidèle de ce que pouvait être Aerosmith dans ces années-là, alors c'était un groupe qui malgré les tensions, les abus de substances, l'impasse créative dans laquelle ils commençaient à s'enfoncer, parvenait toujours à donner à son public des raisons de s'amuser. J'ai beau me dire à chaque début « bon, ce n'est pas essentiel », je finis par laisser le disque tourner jusqu'à la fin ; une fois accroché, c'est difficile de ne pas rester, de ne pas claquer des doigts pour battre la mesure, en souriant bêtement quand arrive Train Kept A-Rollin'. Voilà un disque qui méritait que je le sorte de mes étagères pour quelques nouvelles rotations, sans finalité de changer d'avis à son endroit, mais juste pour le plaisir généreux qu'il procure malgré lui.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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