Les raretés de PJ Harvey

 

Mon intérêt pour la musique de Polly Jean Harvey (forcément mieux connue sous le nom de PJ Harvey) est une chose plutôt récente. Bien qu'elle soit active depuis la fin des années 80, et existe discographiquement depuis 1992, ce n'est que ces dernières années que je me suis mis à explorer ses disques avec curiosité et méthode. Certes, auparavant j'avais bien vu passer quelques unes de ses chansons, son tube Down By The Water en 1995, puis certains autres titres, au hasard des passages en radio ou à la télévision : A Perfect Day Elise, Good Fortune,... Il y avait quelque chose qui m'attirait, mais je ne trouvais pas le temps, il y avait toujours autre chose à faire,... La généralisation d'un internet à haut débit a facilité la découverte en détail du catalogue de bien des artistes. Dans ce cas-ci, j'ai pu jeter une oreille sur bien des choses avant de franchir le pas de l'achat du disque, et ensuite, album après album, j'ai enfin pu apprivoiser l'oeuvre de la chanteuse, une oeuvre ma foi plus que très intéressante, comme on va le voir.

Ces dernières années, il semblerait que PJ Harvey en soit arrivée à un moment de sa carrière où il lui est apparu opportun de faire le point, de se pencher vers le passé et réfléchir à tout ça. Les versions de travail, les démos, de tous ses albums ont ainsi été publiées, mais surtout, ce qui va nous occuper davantage ici, une massive compilation intitulée B-Sides, Demos & Rarities est venu clôturer cette espèce d'entreprise d'archivage.

L'objet lui-même est une réalisation intéressante. La photo choisie pour la pochette est d'une grande sobriété à défaut d'une quelconque et conventionnelle élégance. J'avoue que je ne parviens pas à décrypter ce qu'elle a écrit sur le visage, mais passons... Nous avons donc un étui en carton qui se déploie en quatre volets. Vu qu'il est un peu plus grand que la moyenne, il va faire un peu désordre dans mes étagères, mais je survivrai. Le carton de couleur blanche mat est assez doux au touché, mais l'inconvénient c'est qu'on devine que la moindre tache y restera pour toujours – n'allez pas mettre vos doigts gras dessus ! A l'intérieur de chacun des trois premiers volets, on trouve un CD dans son enveloppe individuelle ; c'est inhabituel et bienvenu. Le quatrième volet contient quant à lui le livret. Un peu partout, les différentes parties de l'étui sont illustrées de photographies (de la chanteuse, de ses musiciens,...), ce qui donne un peu à tout ça le feeling amusant d'une collection de polaroïdes. Le livret par contre a la poésie d'une notice de médicament : un texte uniquement technique, noir sur blanc, austère et fonctionnel. La même sobriété se retrouve pour la décoration des disques eux-mêmes. Enfin, tout ça est publié par Island, le label historique de PJ Harvey.

Que dire du contenu ? Ma foi, c'est généreux, touffu, presque trop copieux. Il serait difficile d'en faire un compte rendu détaillé en tout cas. Pensez-donc : trois disques, cinquante-neuf plages, près de trois heures et vingt minutes de musique... Cela ne s'absorbe pas d'une traite. C'est en fait presque une discographie alternative à laquelle on a droit, et les moments ne sont pas rares qui nous font ressortir les différents albums contemporains pour faire des comparaisons, des rapprochements, en bref se replonger jusqu'aux coudes dans l'oeuvre de PJ Harvey. Celle-ci a traversé bien des couleurs, depuis les bases punk/blues des débuts, en passant par quelques explorations plus électroniques, pour finir avec les derniers développements plus folk. Toutes ces nuances trouvent leur liant dans ce qui fait – à mes yeux – la principale caractéristique de la chanteuse : son inimitable intensité. PJ Harvey ne laisse rien passer, chante comme si le moindre mot, le moindre cri, le moindre gémissement importait. C'est du moins l'impression qu'elle me donne et dans cet exercice, cette compilation ne fait pas exception, illustrant définitivement, en albums et hors albums, la grande cohérence de cet univers.

Comme attendu, le style des arrangements suit celui de l'évolution du son, de l'inspiration de PJ Harvey, entre les guitares brutes et le chant cru, colérique des débuts, et la sophistication, mesurée, mais croissante de la suite, quand interviennent piano et saxophone. Les démos montrent des états de la production moins léchés évidemment, bien que proches déjà des versions définitives. Toutefois, davantage qu'au sein de ce work-in-progress, c'est parmi les chansons entièrement finalisées que l'on trouvera les (nombreux!) titres les plus passionnants. Et l'on se dit qu'en sus des chansons retenues sur les albums, la talentueuse Polly est avait encore largement sous le coude, que ses succès ne sont pas le fruit d'une scrupuleuse entreprise de sélection drastique, mais le reflet d'une brillante productivité.

En se limitant aux premières perles relevées par votre serviteur, je mentionnerai surtout :

Somebody's Down, Somebody's Name qui apparaît comme un règlement de compte, avec cette ambiance morbide et une guitare qui sonne comme une série de coups de couteau.

Harder, explosion punk pleine de sensualité violente.

Naked Cousin et son groove assassin.

The Bay a de puissants accents de Bob Dylan défoncé.

Sweeter Than Anything, cafardeux et chaloupant morceaux de psyché-folk, irrésistible.

Memphis, devenue dès la première écoute une de mes chansons préférées de PJ Harvey. Il y a une urgence contenue, une tension vénéneuse, un chant profond et désabusé, une guitare obstinée, des choeurs fantomatiques, une pure merveille. Mon seul regret est qu'elle ne dure que trois minutes et cinquante-quatre secondes ; elle pourrait tenir quinze minutes que je serai tout autant captivé.

My Own Private Revolution, lancinante complainte délicieusement pessimiste, avec un piano un peu louche.

The Falling, encore un titre venimeux, plein de tension à peine retenue, le genre d'ambiance où l'on a peur de voir comment ça va se terminer.

Stone, une étrange ritournelle avec une guitare hypnotique et plongée dans la réverbération.

Wait est un morceau plus léger, petite fantaisie aux sonorités folk.

The Big Guns Called Me Back Again a les allures d'une complainte médiévale, mêlant tambour, chant et contrechant dans une trouble incantation.

Voilà, ça c'est a priori le meilleur qui ressort de premières écoutes, mais il y a tant de choses à écouter sur ces trois disques, que cette liste pourrait encore s'agrandir ultérieurement. Quoi qu'il en soit, et comme déjà indiqué, c'est touffu et généreux.

La qualité du son produit est globalement bonne, voire très bonne. Si bien sûr les titres démos sonnent un peu plus limité, cela reste tout-à-faut recommandable dans le genre ; ça n'a pas été enregistré dans le bus avec un dictaphone. Les autres plages sont quant à elles entièrement au niveau de ce qui se faisait à l'époque. En tendant bien l'oreille, peut-être décèlera-t-on quelques variations de nuances, bien compréhensibles si l'on se souvient que sont concaténées ici des chansons issues de sessions d'enregistrement différentes, s'étendant sur une période de vingt ans, mais rien vraiment qui détourne du plaisir d'écoute. De la compression semble avoir été utilisée ici ou là, mais heureusement avec parcimonie. C'est à nouveau variable d'une plage à l'autre, mais il n'y a rien de pathologiquement assommant, loin de là. On se demande juste si une quelconque remasterisation (au demeurant inutile) a eu lieu.

Comme il faut bien terminer ce billet quelque part, alors terminons-le ici. Ce petit coffret est à mon sens indispensable pour tout mélomane un tant soit peu intéressé par l'univers de PJ Harvey ; on aura compris que je le recommande chaudement. Les fans maniaques auront peut-être déjà la plupart de ces chansons, patiemment et minutieusement accumulées année après année, en collectionnant les éditions obscures et limitées, il n'empêche que le côté pratique de cette compilation reste indéniable pour l'amateur moins obsessionnel ou simplement plus tardif tel que moi.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

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