Bob Dylan essaye des trucs

Nouvel album ou pas nouvel album ? Nous allons voir cela de plus près, mais auparavant : qui est Bob Dylan ? Mais non, restez, restez, c'est une blague...

En 2020, comme bien d'autres, Bob Dylan s'ennuie probablement. Les tournées sont impossibles à cause de la pandémie. Comme pour le cinéma à la même époque et pour les mêmes raisons, c'est sur internet et les plateformes de streaming que les gens consomment les contenus audiovisuels. Le barde de Duluth s'est-il dit « hé, moi, je peux le faire aussi » ? Début 2021, une série de vieux classiques du répertoire dylanien, surtout des morceaux des années soixante, sont enregistrés dans des versions remaniées, avec de nouveaux arrangements. Ces sessions doivent servir de bande son à un faux concert filmé en playback, diffusé sur écran le 18 juillet 2021. Ce film, je ne l'ai pas vu, mais le peu que l'on m'en a dit n'invite pas à l'optimisme : ambiance crépusculaire en noir et blanc, des musiciens qui jouent à jouer, décor « cheap »,... La musique en revanche faisait l'objet de bien des éloges. Qu'à cela ne tienne, presque deux ans plus tard, l'enregistrement de ces fameuses chansons réinterprétées est publié indépendamment sur CD. Jetons-nous dessus !

L'objet est un fourreau en carton s'ouvrant en deux volets. Le volet de droite est ouvert sur le côté de la pliure pour laisser passer le disque. Tout le visuel de l'album reprend l'esthétique sombre et monochrome du film, avec Bob Dylan lui-même en couverture, tentant de donner le change avec son harmonica, et le groupe qui l'accompagne dans la grande photo intérieure. Au dos, comme de juste, on trouve les titres composants l'album. Le disque lui-même reprend un visuel gris et un peu rétro, comme une vieille étiquette de LP Columbia (ça tombe bien, c'est chez eux que c'est édité). Il y a quatorze plages et ça dure cinquante-cinq minutes.

Tout est d'une grande simplicité et je ne dis pas ça comme un commentaire flatteur. Déjà il n'y a aucun livret (c'était déjà le cas pour l'album précédent : Rough and Rowdy Ways en 2020), mais en outre à peu près rien d'autre que les titres des chansons n'est écrit sur le boîtier. Qui joue de quel instrument ? Qui produit ? Qui enregistre ? Et où ? Pour obtenir quelques indications (« spéculations informées » serait une tournure plus appropriée), je dois aller sur wikipedia ! Je ne sais pas si c'est du minimalisme ou de la rétention d'information, mais voilà : pas grand chose à lire dans cet emballage par ailleurs ni beau, ni laid, ombrageux toutefois.

Dès le commencement, on sent que ça va être bizarre : absence de batterie, présence sensible d'une sorte d'accordéon, arrangements parfois un peu timides, comme si les musiciens improvisaient plus qu'autre chose, avec pour principale consigne de rester en retrait derrière la voix du maître. Enfin, quand je dis improviser... C'est plus élaboré que ça, bien sûr, mais la prise de son live, le fait que les morceaux s'enchaînent littéralement les uns aux autres sans aucun « blanc », sans temps morts apparents, poussent à imaginer tout ce petit monde se débrouillant comme il peut avec les moyens du bord, sans changer d'instruments ou de réglages entre deux chansons (ou si peu). Bref, on est sur scène (ou plus certainement en studio), on branche les micros, on appuie sur « enregistrer », on sert les dents et on se retrouve cinquante-cinq minutes plus tard. Je me demande même si le groupe ne découvre pas la playlist en même temps que nous, au gré de la fantaisie de Dylan... En tout cas, c'est l'impression que j'en ai.

Qu'on ne se méprenne pas : je ne vois pas ça comme un défaut. J'essaye juste de décrire l'initiative telle que je la perçois, c'est-à-dire une fin de soirée dans un bar à l'ambiance crépusculaire et moite, des odeurs de tabac froid, un reste d'alcool qui s'évapore du fond d'un verre, un groupe fatigué qui lance un dernier set pour les derniers clients endormis et imbibés, dans une salle à trois quarts vide... On tient à peine debout, on ne se souvient plus trop pourquoi on est là, et puis miracle, la magie de la musique opère toujours. Tout cela a son charme, mais je me demande tout de même un peu combien de temps il a fallu pour mettre au point ces arrangements décalés... Pour ce que je sais de Dylan, c'est le genre d'évolution, de refaçonnage permanent de ses chansons qui doit arriver à peu près à chaque tournée. Et les musiciens derrière lui connaissent la musique, sont capables de faire bonne figure en toutes circonstances. Ou alors je n'y connais rien et en fait, c'est plus difficile que cela n'en a l'air...

On s'y attendait, le petit jeu est vite devenu ici d'essayer des reconnaître les morceaux sous leurs nouveaux habits, de déterminer lesquels en sortent magnifiés, ou pas, d'évaluer ce que nous apporte ce regard différent. Pour ma part, je n'ai pas éprouvé de révélation décoiffante, je n'ai opéré aucune révolution copernicienne dans ma perception de l'oeuvre. Le plus souvent en effet, le caractère des morceaux n'est pas fondamentalement changé par la nouvelle approche. Je dirais toutefois que la plupart du temps, les nouveaux arrangements procurent aux chansons une plus grande simplicité, une légèreté plus décontractée. Toutes ces versions étant plus ou moins conçues d'un seul jet, elles présentent également une plus grande homogénéité. Ont retenu tout de suite mon attention la version très différente pour le coup de I'll Be Your Baby Tonight (où la fantaisie d'une ballade country devient presque un rock fiévreux) ainsi que celle, délicieusement fraîche, de Forever Young. Je suis aussi tombé sous le charme du tout simple Sierra's Theme, le joli instrumental qui clôt le disque et qui – il me semble – est un morceau original.

Aucun reproche à faire au son de ce disque. C'est proprement enregistré. Peut-être pourrait-on espérer un peu plus de couleur et de chaleur, mais ça ne tient pas à grand chose. Le disque n'est pas froid, mais plus aéré que je ne l'aurais cru ; une ambiance plus boisée, cotonneuse, poisseuse ne lui aurait pas fait de mal.

Quoi qu'il en soit, cela reste une très intéressante expérience que nous propose ici Bob Dylan, une aimable récréation, mais pas de quoi constituer non plus un apport majeur de sa discographie. C'est un très beau témoignage de sa capacité à réinventer son répertoire, faire évoluer ses chansons, démontrer que rien n'est figé, faire du neuf avec du vieux, en bon artiste folk. Enfin aussi, malgré son statut hybride, c'est le premier disque à peu près « live » depuis le Unplugged de 1995 ; rien que pour ça, c'est presque un petit événement en fait.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

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