Voilà bien un come-back qui m'a totalement pris par surprise. Remontons un peu les horloges... Extreme, c'est surtout quatre (excellents) albums entre 1989 et 1995. Ensuite, dans une ambiance légèrement « Nirvana killed my career », survient une dissolution, des aventures éparpillées au succès limité (malgré la qualité de certaines initiatives, oui, c'est à Nuno que je pense, coeur sur lui) et puis tout d'un coup, l'annonce d'une réunion en 2007 avec un nouvel album dans la foulée. La première moitié des années 2000 a été très riches en reformations de groupes de rock, à se demander pourquoi ces gens s'étaient séparés en fait... Dans le cas d'Extreme, l'attente était très grande parce qu'au delà d'un « revival » nostalgique sans doute financièrement motivé, on avait l'impression que le groupe de Boston avait encore des choses à dire, qu'il était parti, non pas parce qu'à court d'idées, mais parce que mis sur une voie de garage par l'évolution des modes. Le résultat avec l'album Saudades de Rock (2008) ne fut pas à la hauteur des espoirs placés en lui. Il y eut tout de même une tournée, les fans étaient contents, et tout ce petit monde est retourné travailler chacun de son côté. Pour la suite, on se disait que c'était cuit, qu'ils avaient essayé, mais que ça n'avait pas marché, tant pis. J'avoue que pour ma part, je n'ai plus suivi ça de trop près, je suis resté ignorant des éventuelles fuites, rumeurs, infos diverses concernant de nouvelles chansons. A posteriori, je lis que l'on évoquait un retour d'Extreme depuis pas mal d'années en fait, mais jamais rien ne venait. Moi, je m'étais fait une raison, mon âme était en paix avec une discographie définitivement bloquée à cinq opus. Avance rapide vers le mois de mars de cette année : je découvre l'annonce du nouvel album, intitulé sobrement Six et prévu pour le mois de juin. Le premier extrait, Rise, met le feu à tout ce que la planète compte de combustible. Je me tiens prudemment à l'écart des autres extraits révélés ensuite ; je veux rester vierge et innocent pour le moment de la grande découverte.
Une pochette de type « digipack » très sombre, une photographie de gorille menaçant (que l'on retrouve d'ailleurs sur le disque), le nom du groupe en gris, le titre de l'album en rouge, en usant du lettrage utilisé par le groupe pour ses deux premiers opus, voici comme se présente notre nouvelle acquisition... Et déjà, une première chose à signaler, c'est qu'ils ont fait un bel effort en termes de packaging par rapport aux standards actuels (et un peu pathétiques) d'emballage de CD. On reste sur un fourreau en carton en deux volets, mais la couverture est en relief : les traits du visage du gorille émanant de l'obscurité sont embossés dans le carton. Ensuite, il y a un livret de seize pages, avec non seulement les informations techniques habituelles, mais aussi les paroles et de nombreuses photographies du groupe. À l'heure où les maisons de disques semblent considérer les éditions CD comme négligeables et le moindre bout de papier qui les accompagne comme une rareté à économiser, c'est une initiative que j'apprécie. Douze chansons composent le programme, pour une durée de cinquante-trois minutes. Enfin, c'est publié chez Edel / Ear Music ; oui, c'est un label allemand, mais rien ne m'étonne plus au XXIème siècle (ils ont quitté A&M depuis longtemps déjà).
Les premières chansons débutent l'album sur un mode très brutal. Rise, #Rebel ou Banshee sont riches en riffs de plomb, en solos perçants, en cris sauvages. C'est clairement la partie de Six qui rappelle le plus l'héritage « heavy » du groupe, et c'est aussi exécuté avec une vigoureuse efficacité. Le solo de Rise restera dans les annales comme une de leurs grandes réussites.
Toutefois, Extreme, c'est aussi une dimension par moment plus folk-rock : on tempère la batterie et on sort les guitares acoustiques, mais ce n'est pas pour autant que l'on allume les briquets. Other Side of the Rainbow fait ainsi figure de titre faussement calme (à la façon de Hole Hearted), gardant tout du long un rythme enlevé et une intensité réelle. Small Town Beautiful en revanche prend un tour de véritable ballade.
Jusqu'ici, Extreme reste donc globalement en terrain familier. Dans les plages suivantes pourtant, les musiciens s'aventurent dans des zones légèrement plus expérimentales. Certaines ambiances sonnent plus industrielles, les percussions prennent le profil d'un semi-remorque, les voix sont plus caverneuses, les tempos sont plus pesants, moins fulgurants (mais sans toutefois perdre d'accent), on perçoit des petites initiatives... électro ? Attention, c'est très très ténu, de l'ordre du petit détail, mais du détail qui se remarque quand même un peu. Donc si dans l'ensemble cela reste du bon hard rock bien lourd, on n'imaginerait pourtant une chanson comme X Out sur aucun des premiers albums. En tout cas, ces chansons ont un tout petit peu désarçonné les premiers auditeurs. Pour ma part, j'ai assez vite été conquis par ce nouveau tournant, surtout X Out d'ailleurs, mais The Mask ou Thicker Than Blood fonctionnent bien aussi ; Save Me m'apparaît par contre plus faible.
A mesure qu'il s'approche de la fin, l'album fait en outre de plus en plus de place à la guitare acoustique : la calme ballade Hurricane, mais aussi les deux (plutôt sympathiques) chansons à boire (je ne vois pas comment les appeler autrement) : Beautiful Girls et Here's To The Losers. Quand on y pense, cela fait bien cinq titres sur douze qui mettent les gros amplis au second plan ; ce n'est pas rien pour un groupe de hard rock. Encore une fois, je n'y trouve personnellement rien à redire. Les chansons sont jolies (oui, même Beautiful Girls qui semble tant attirer les critiques).
Si je prends maintenant un peu de recul, je trouve que c'est un album tout à fait réussi et qui, sans être un disque aussi inventif et puissant que Pornograffitti ou III Sides, remonte sensiblement le niveau par rapport au précédent en ceci qu'il est bien plus cohérent et inspiré. Il y avait du bon dans Saudades de Rock, et aussi du moins bon, mais surtout il avait l'air d'avoir été assemblé n'importe comment, un patchwork fignolé à la truelle, avec du nougat et du ciment pour tenter de (mal) cacher les jointures. Peut-être que Six a eu un développement long et laborieux, peut-être que lui aussi est un montage de sessions venues d'ici ou là, de chansons écrites à des moments différents, mais le disque final s'absorbe d'une traite, a un son homogène et s'apprécie comme un vrai et unique moment créatif et ça fait une grosse différence.
Le groupe est constitué des mêmes membres depuis le come-back de 2007 : Nuno Bettencourt (guitare), Gary Cherone (voix), Pat Badger (basse) et Kevin Figueiredo (batterie). Quelques musiciens additionnels viennent gonfler un peu l'équipe, mais c'est marginal. Ce qui représente une intrigante innovation toutefois, c'est l'apparition de nouveaux noms parmi les auteurs et compositeurs. Si Bettencourt et Cherone constituent toujours le noyau dur de l'écriture des chansons, c'est bien la première fois que je les vois se faire autant « aider » dans ce domaine. La plupart des noms me sont à peine connus, mais les personnages les plus notables sont Kevin Antunes (claviériste et arrangeur plutôt pop), Brian Maher (compositeur et arrangeur venu de la country) et Carl Restivo (musicien et producteur avec un CV long comme le bras). C'est vraiment interpellant... On tend généralement à magnifier la personnalité originale et indépendante de l'auteur-interprète, pur artiste, forcément seul dépositaire de sa vision du monde bien à lui. L'ingérence étrangère est donc parfois mal vue, souvent suspecte de compromission commerciale, pas loin d'une situation « à la Aerosmith » où les « writing credits » de chaque disque impliquent, opus après opus, de plus en plus de monde. Ce n'est plus un groupe, c'est une manufacture. Enfin bon, l'avenir nous dira si l'on doit s'en inquiéter ou si c'est à eux que je dois aussi le plaisir que j'ai à écouter ce nouvel album.
C'est Nuno Bettencourt qui a produit et mixé le disque, avec à mon humble avis, un résultat tout-à-fait satisfaisant. Sur le son de l'album, j'ai vu passer beaucoup de critiques, mais pour moi, s'il partage en effet les caractéristiques dommageables de notre temps (compression, compression, compression), il n'est pas sans qualité ou sans nuance. Il est fort, mais ce n'est pas une bouillie sonore ou une expérience harassante. Les guitares acoustiques ont une jolie brillance, mais la batterie pourrait parfois avoir plus de punch. La guitare de Nuno se détache bien dans le mixage, malgré occasionnellement quelques décentrages un peu insolites dans la stéréo (elle apparaît souvent un peu plus à gauche). La voix de Gary Cherone est... bien ? Je ne sais pas si c'est dû à l'âge, mais elle semble également un peu poussée dans ses derniers retranchements, comme si elle atteignait ici le début de la fin. C'est un constat un peu dur peut-être : on verra bien ce que nous réservent les années prochaines. On a l'âge de ses artères, comme on dit, et pour certains sans doute, de ses cordes vocales. En définitive, sans vouloir en faire un cas exemplaire d'audiophilie, rien dans ce registre n'est venu se mettre en travers du plaisir d'écoute.
Il est temps de conclure... Comme je l'ai évoqué, les réactions lues ou entendues autour de cet album ne m'ont en général pas parue extatiques. Pour moi pourtant, c'est une belle réussite, d'autant plus qu'en 2023, je n'attendais plus vraiment quoi que ce soit de ce groupe. Retour en forme ou belle conclusion, je ne saurai le dire, mais Six, sans atteindre les mêmes sommets des plus glorieux albums du groupe en termes d'originalité, de pertinence et de qualité d'écriture, aura déjà réussi à marquer de très belle manière cette année musicale.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
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