Qui ? Neko quoi ? Comment ? Est-ce donc possible ?
Personnellement j'ai découvert la chanteuse américaine Neko Case, très discrètement, vers 2016, à l'occasion de la sortie du disque Case/Lang/Veirs, une intéressante collaboration entre trois artistes : Laura Veirs (que je connaissais déjà), k.d. lang (dont j'avais vaguement entendu parler) et enfin de – la voilà – Neko Case. J'avoue qu'à l'époque ce sont ses interventions sur le disque qui me plaisaient le plus, après celles de Laura Veirs, bien entendu (désolé, k.d. lang). Je me suis alors dit « hum... il y a quelque chose à creuser, là... » et puis, comme souvent, le temps a manqué. Dès lors, quand la compilation Wild Creatures est sortie cette année – c'est l'objet de la présente chronique – je me suis dit « hum... il y a quelque chose à creuser, là.... » Alors creusons !
Qu'est-ce donc, Wild Creatures ? Publié une première fois sous forme uniquement numérique en 2022, c'est aujourd'hui un CD que l'on peut heureusement tenir en vrai dans ses petites mains fébriles. Sans grande surprise, c'est un fourreau cartonné à deux volets. Je constate tout de même que le format est quelque peu inhabituel. Ce genre de contenant reprend en général les dimensions d'un « jewel case » classique, c'est-à-dire rectangulaire : plus large que haut. Ici toutefois, il est à peu près carré, avec le ratio d'une pochette de vinyle. Sur l'avant, une jolie image de Neko Case, une sorte de « selfie » devant ce qui semble être le miroir d'une loge, mais avec un appareil photo traditionnel. A l'arrière, accompagnant un décor mal identifié, la liste des titres. A l'intérieur, un bricolage figurant une étoile filante au visage souriant. Dans le volet de droite, on trouve le CD, décoré d'une saynète d'animaux jouant de la musique, une image plus touchante que je ne l'aurai imaginée tant elle rappelle des jouets d'enfants, des marionnettes de spectacle télévisé d'autrefois. Dans le volet de gauche, deux feuilles pliées en quatre. Sur le recto de chacune d'elle, on peut admirer une (jolie encore) photo de l'artiste sur scène. Sur le verso, on trouve d'une part les informations techniques et légales, crédits et copyrights divers,... et d'autre part quelques textes où d'autres artistes (Julien Baker, David Byrne, Amy Ray...) expliquent tout le bien qu'ils ou elles pensent de la chanteuse, ainsi qu'un essai (élogieux) signé Andrea Pitzer. C'est publié à la fois par Lady Pilot, le propre label de Neko Case, et par Anti-, un label responsable de la diffusion de ses albums depuis quelques temps déjà. Je reviens sur deux points, peut-être simplement techniques, mais dignes d'être relevés à mon avis. Le premier, c'est que c'est visuellement un assez bel objet, compte tenu des standards assez bas de notre époque ; le choix des photos, le soin apporté à la présentation,... témoignent d'un petit effort louable de fabrication que l'on croise trop rarement quand il s'agit des CDs (un peu comme dans le cas récent de l'album Six d'Extreme). Le second, c'est que sur mes photographies on voit qu'il n'y a rien d'écrit sur le devant du fourreau, juste une photo sans titre, mais à l'origine, un gros autocollant doré venait indiquer de qui il s'agissait. Je l'ai ôté. Je déconseille à quiconque de procéder à la même opération sans posséder un certain savoir-faire ou une absence totale de respect de l'intégrité physique de leur collection ; j'ai en effet failli détruire le carton de mon exemplaire à force d'insistance, grattage et frottement. Prudence donc.
Vingt-trois titres composent cette généreuse compilation d'une durée de septante-deux minutes. En dehors du premier album de Neko Case, The Virginian (1997), tous les disques de la chanteuse sont plus ou moins bien représentés. En détail, cela donne deux titres de Furnace Room Lullaby (2000), quatre de Blacklisted (2002), quatre de Fox Confessor Brings The Flood (2006), quatre de Middle Cyclone (2009), trois de The Worst Things Get, The Harder I Fight, The Harder I Fight, The More I Love You (2013) et enfin trois de Hell-On (2018). Il y a encore deux titres de son album « live » The Tigers Have Spoken (2004) et un dernier titre auparavant inédit, spécifique à cette compilation (Oh, Shadowless). Ces différences sont sans doute marginales, mais peut-être faut il voir ici une préférence de l'artiste pour ses oeuvres plus mûres au détriment de ses premiers enregistrements ? En tout cas, son premier album (qui, il est vrai, comportait un grand nombre de reprises) n'a pas été jugé comme assez signifiant pour donner un aperçu de son identité artistique. De même aucune sélection n'a été opérée parmi les travaux en collaboration (le projet Case/Lang/Veirs mentionné plus haut, ou encore les disques du groupe The New Pornographers où elle chante également, mais compose peu ou pas). Quoi qu'il en soit, compte tenu des limites de tout exercice de ce type, entre « greatest hits » et « anthologie », je pense que l'on peut s'accorder à trouver Wild Creatures raisonnablement représentatif et c'est déjà très bien. À la louche, on a donc un contenu qui couvre plus de vingt ans de carrière, le tout confortablement organisé dans un ordre pas du tout chronologique. Pourquoi ? Pourquoi pas ? L'air de rien cependant, il faut admettre que cet agencement n'est pas mal du tout en fait. On peut s'amuser à remettre toutes ces plages dans leur succession historique, mais je trouve que ça n'a pas tout-à-fait le même impact.
Quand on écoute la musique de Neko Case, on devine à peu près ce à quoi on a affaire, sans pouvoir pointer du doigt la bonne étiquette qui correspondrait précisément à ce qui sort des hauts-parleurs. Il y a une forte connotation de rock indépendant US, avec une bonne dose d'inspiration country et folk, le mot « americana » flotte aussi quelque part, mais avec un voile de « alternatif » en filigrane pour faire bonne mesure. C'est tout ça et c'est aussi un peu plus que ça, parce que comme souvent l'ensemble est supérieur à la somme des parties... Mais le vrai point d'ancrage, le réel liant, ce qui fait l'identité plus profonde de ces chansons, c'est d'abord la voix de l'interprète elle-même. Cet hypnotique timbre de contralto qui se promène de plage en plage, chantant avec une force tranquille, un débit aussi posé qu'inarrêtable, quelque chose de résolu, déterminé, mais sans agressivité, à la fois expressif et mesuré (les envolées me semblent toujours très contrôlées). Ensuite il y a tout l'univers contenu dans ses chansons (Neko Case en écrit et compose l'essentiel), gracieusement désabusé et amer, où le crime de sang n'est jamais très loin, où le romantisme ne peut jamais se débarrasser du cynisme, voire des larmes de la lucidité. C'est le moment de rappeler que l'oeuvre de Neko Case est souvent qualifiée de « country noir » et c'est vrai qu'elle s'emploie avec talent à révéler la doublure sombre des situations et des sentiments, et qu'il y a aussi souvent un cadavre dans le placard. Bien qu'elle soit parfaitement exécutée, je peine à considérer la musique ici présente comme une musique de musiciens. Pas de « guitar hero » exhibant ses mérites, de virtuose de quoi que ce soit mis en avant, d'ingénieur du son polissant obstinément le son, d'arrangeur colorant différemment chaque album,... C'est un travail d'artistes appliqués, se permettant ici ou là de jolies trouvailles, mais d'abord une démarche sonore entièrement au service d'une ambiance générale qui domine tout le reste et demeure d'ailleurs assez homogène d'un point à l'autre du disque. Les structures des chansons sont souvent irrégulières, les mélodies ne se laissent pas aisément apprivoiser... pour un peu on ne se sentirait pas le bienvenu, mais la musique vous attrape, ne vous lâche plus et on reste comme un lapin immobilisé devant les phares d'une voiture.
Je retiendrais particulièrement Hold On, Hold On, peut-être une de ses chansons les plus connues et puissantes, mais sont pareillement touchées par la grâce Halls of Sarah (fascinantes harmonies et puis le tempo qui décolle à la fin... et un saxophone un peu jazzy), le mélancolique I Wish I Was the Moon, Deep Red Bells (parfait exemple de ballade macabre sans avoir l'air de le dire), Night Still Comes (faussement léger avec un final un peu gospel), Things That Scares Me (avec son banjo) et bien d'autres encore.
Le son du disque appelle un commentaire un peu plus mitigé. Tout est parfaitement propre et clair, surtout la voix bien sûr. J'ai l'impression de déceler un certain talent pour faire parfois résonner un instrument de façon plus lointaine et menaçante le temps d'une chanson, contribuant ainsi parfaitement aux ambiances sombres et prenantes de l'univers de la chanteuse. Mais voilà, donc, ce sont globalement de très bons enregistrements modernes, avec suffisamment de chaleur, même si on aurait pu s'attendre à des couleurs un peu plus boisées. Toutefois, toutefois, toutefois... peut-être le sentez-vous venir... : le mastering n'a pas échappé à une compression un peu fatigante. Oh, rien de démesuré (on a entendu bien pire), mais c'est notable et un peu surprenant pour une oeuvre a priori éloignée des impératifs commerciaux uniformisants. On y survivra, mais vu que l'album est long, un son plus aéré, moins compact, aurait été agréable.
Neko Case a bâti en vingt an un bien beau catalogue. Du moins cette très recommandable anthologie en donne un aperçu équilibré et engageant. A condition aussi d'être perméable à la démarche très originale de l'artiste, à base d'animaux assassinés, d'amours malheureuses et de contes morbides. Son dernier vrai album est sorti il y a déjà cinq ans ; cette compilation tente-telle de clôturer quelque chose ? Allez savoir... À quinze ans, Neko Case s'est barrée de chez elle pour aller jouer de la batterie dans des groupes un peu partout où l'inspiration l'appelait. S'il y a une chose dont on peut être à peu près sûr, c'est qu'elle fera ce qu'elle voudra. Et s'il y a du sang sur la piste, ce ne sera pas le sien.
C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.
Commentaires
Enregistrer un commentaire