Un live inédit de Dire Straits

 

En 2020 sortait un coffret regroupant les six albums studio de Dire Straits ; je crois que j'en ai touché un mot quelque part... Il s'agissait du strict minimum, le contenu des albums bien connus, sans « bonus » d'aucune sorte, sans surprise. Nous sommes à présent trois ans plus tard, et voici qu'est publié un second coffret, consacré aux enregistrements « live » du groupe. Et cette fois, question « bonus », la situation est inversée. Je reviendrai ailleurs sans doute sur tous les détails de l'opération, mais le plus grand apport de ce coffret, ce qui va nous retenir ici, c'est l'inclusion d'un concert totalement inédit de 1979. Plongeons à la découverte de cet objet inespéré.

Le coffret Dire Straits Live 1978-1992 lui-même est de format « clamshell ». À l'intérieur, le (double-)disque qui nous occupe est intitulé Live at the Rainbow. Il est contenu dans un fourreau en carton à deux volets (façon « gatefold »), avec un CD de chaque côté. La devant de la pochette reprend (ou ré-imagine) l'esthétique de ce qui a pu être une affiche d'époque annonçant le concert. C'est du moins l'effet que ça fait. Il n'y a que du texte donc, à l'exception du logo « Dire Straits » en forme de guitare rouge qui sera bientôt abandonné, et que du texte pareillement à l'arrière avec les titres de chansons. Si on ouvre la pochette en revanche, on est récompensé par une large photo du groupe sur scène. La décoration des disques eux-mêmes reprend simplement la thématique du devant. Rien d'extravagant, rien d'indigne non plus. C'est factuel et fonctionnel. C'est une sortie tardive aussi, pas un opus pour lequel – à l'époque – le groupe et la maison de disque auraient pu prendre le temps de s'asseoir, réfléchir, chercher un visuel accrocheur, vouloir transmettre un message quelconque. Il y a vingt-et-une plages pour une durée de cent une minutes et c'est publié chez Universal (en reprenant les logos Vertigo et Mercury).

Le 21 décembre 1979, c'est la fin de la tournée qui a suivi la parution du deuxième album du groupe, Communiqué. À ce moment, Dire Straits est encore le quatuor d'origine, mais pour marquer le coup, Phil Lynott et Tony de Meur viendront les rejoindre sur scène pour reprendre avec eux quelques standards du rock 'n' roll. Si le disque s'appelle Live at the Rainbow, c'est parce que ça se passe au Rainbow Theatre de Londres. C'est une salle relativement petite, avec environ trois mille places. Dire Straits avait déjà « perçé », mais restait encore plutôt un groupe « de pub » plus à l'aise dans ces environnements à taille humaine ; les stades immenses ne viendront que plus tard. L'existence de ce concert était déjà connue bien sûr, quelques images en avaient même été diffusées dans un documentaires (Arena) de la BBC de 1980, mais ce dont on était loin de se douter, c'était qu'un enregistrement multi-piste professionnel en avait été fait. Pourquoi ces bandes ont-elles dormi dans un coffre pendant plus de quarante ans est un vrai mystère, et un mystère d'autant plus frustrant que le catalogue Dire Straits / Mark Knopfler n'est pas connu pour l'intensité de son exploitation patrimoniale. L'une des rares fois (avant ces toutes dernières années) où il a été question de sortir quelque chose des archives, on n'a eu droit qu'au Live at the BBC en 1995, un document certes intéressant, mais à la qualité sonore bien en deçà de ce que l'on peut entendre ici.

Le concert lui-même est particulièrement passionnant et éclairant sur les premières années de Dire Straits. La sélection des chansons est généreuse et fait – on s'en doute – la part belle aux contenus des deux premiers albums (huit titres de l'un, cinq de l'autre). Il faut se souvenir que l'on vient d'une époque pas si lointaine où les seuls enregistrements en public officiels couvraient d'abord les tournées Love Over Gold (1982-1983) et On Every Street (1991-1992). En gros : la seconde moitié de la carrière du groupé ; on n'avait donc eu peu d'occasion d'entendre des chansons telles que In the Gallery ou encore Lady Writer. En outre, on s'aventure ici aussi à proposer des titres encore en cours d'élaboration qui ne seront publiés que plus tard. On peut ainsi entendre des versions de travail de Les Boys, Twisting By The Pool ou Solid Rock. Au même rayon des éléments exotiques, on a encore une apparition de What's The Matter Baby ?, une des rares chansons de Dire Straits co-écrites par David Knopfler (jouée sur scène à l'époque, mais jamais enregistrée sur album, et – il faut le dire – déjà présente sur Live at the BBC). Enfin – on l'a dit – le concert se termine par quelques reprises de vieux rocks, une manière sympathiques de finir sur un touche très festive. Et on sent que les musiciens s'amusent, que l'ambiance est à la détente. Mark Knopfler et ses comparses sont particulièrement en forme, tandis que les morceaux, bien rodés maintenant après des mois passés sur les routes, s'enchaînent sans temps morts et subissent avec souplesse moultes petites variations forgées au cours des tournées. Il n'y a donc rien à reprocher ni au contenu, ni à la prestation, ou si peu. À la rigueur, n'étant pas particulièrement fan de Phil Lynott, je pense que j'aurais pu me passer de sa participation en faveur de plus de chansons de Dire Straits, et pourquoi pas un autre titre rare tel que Eastbound Train souvent joué à l'époque (et officiellement uniquement paru comme face B du quarante-cinq tours de Sultans Of Swing, et totalement inédit en CD).

Une autre grande qualité de cette nouvelle publication, c'est bien sûr la qualité sonore. Comme je l'ai déjà évoqué, le concert a été enregistré professionnellement et ça s'entend. On est séduit pas la précision de la prise de son, la clarté des instruments, la balance, la chaleur de l'ambiance, sans sacrifier à l'énergie et au punch de la musique... Pas de doute, sur ce plan on laisse loin derrière le Live at the BBC et on dépasse aussi les quelques (pourtant plutôt bons) « bootlegs » contemporains souvent tirés de retransmissions radio ou télé moins soignées (je pense à Rotterdam ou Cologne). Le « mastering » semble avoir été fait avec sensibilité. Il est globalement très aéré, bien équilibré, évitant avec légèreté les travers actuels de course au bruit et de compression dynamique. En résumé, c'est un délice pour les oreilles.

Ce Live at the Rainbow est certainement une des additions les plus appréciées du coffret récemment paru. C'est un excellent concert, tout aussi excellemment enregistré. Pour un peu, on aurait presque oublié que ce groupe pouvait sonner aussi spontané et fun, que la guitare de Mark Knopfler pouvait être aussi bondissante. C'est un témoignage précieux de la carrière de Dire Straits, peu avant qu'ils ne revoient leurs ambitions à la hausse avec des albums et des chansons de plus en plus puissantes, une dernière rasade de « pub rock » londonien en quelque sorte. On ne peut que se réjouir de voir cette archive enfin rendue publique, et espérer (bien qu'avec scepticisme) que d'autres suivront.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

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