Le nouvel album de Pearl Jam

 

L'histoire de la formation du groupe Pearl Jam est bien connue des gens qui s'intéressent à la formation du groupe Pearl Jam. Né en 1990 des aléas toxico-artistiques de la scène musicale de Seattle (avec un notable ajout en carburant californien), Pearl Jam est devenu l'un des piliers de la vague « grunge » qui ravivera à l'époque toute l'esthétique rock à coups de guitares, de chemises en flanelle et de cheveux gras. Pratiquant une musique plutôt hard et plutôt sale, cette injection d'alternatif dans le mainstream s'avérera salutaire pour un genre qui tendait à devenir de plus an plus propre et lisse (dans sa version la plus largement diffusée du moins). Plus de trente ans après, Pearl Jam est toujours là, dernier des grands groupes grunge, avec une composition quasiment inchangée : Eddie Vedder au chant, Stone Gossard et Mike McCready aux guitares, Jeff Ament à la basse et Matt Cameron à la batterie (depuis 1998). Il y a eu des hauts, des bas, mais tout de même souvent des hauts, des pas de côté, et une carrière bâtie autant sur disque que sur scène, une longévité et un niveau de travail qui force le respect. Cette année,.. pardon : l'année dernière, ils nous revenaient avec leur douzième album studio : Dark Matter.

Imaginons-nous dans un passé très proche : nous sommes le 19 avril 2024 et nous tenons dans nos mains un joli petit livre cartonné. On appelle ça un « digibook », c'est un peu plus classe qu'un « digipack » et c'est le format de contenant adopté par Pearl Jam depuis un moment déjà (si je ne m'abuse, le premier exemple devait être la musique du film documentaire Pearl Jam Twenty en 2011). Alors c'est très joli, c'est un objet assez sympa à manipuler, une alternative au « jewel case » de meilleure qualité que les ennuyeux fourreaux cartonnés trop souvent utilisés, mais tout n'est pas parfait pour autant. Ce n'est en effet pas le style d'emballage le plus propice à une extraction du CD qui se voudrait souple et sans danger ; le disque n'est pas emboîté sur un support, mais glissé dans une enveloppe collée dans le livre et c'est parfois tellement serré que l'on risque d'abîmer contenu et contenant en voulant sortir la rondelle convoitée. Tout de noir vêtu, pour coller au titre je suppose, avec d'intrigantes images à base de sculptures lumineuses, quelques photographies des musiciens trafiquées pour donner un rendu « néon » similaire, le « digibook » de Dark Matter inclut les paroles des chansons et les données techniques (qui fait quoi) attendues. Je remarque à ce sujet que la page dédiée aux paroles de Got To Give ne fait apparaître qu'une partie du texte, que ce ne semble pas être une erreur d'impression et que l'on se perd en conjectures sur le pourquoi du comment. Enfin, ces onze plages totalisent quarante-huit minutes et le tout est publié chez Monkeywrench, le label du groupe.

C'est un disque un peu particulier, Dark Matter. Il a été enregistré (pour la plus grande partie) presque d'une traite (on parle de trois semaines) en Californie, alors que les précédents opus voyaient leur réalisation étirée sur de multiples sessions, en fonction des agendas de chacun, des moments de temps libres, des opportunités ou de l'inspiration. Ici, ça s'est fait en quelque sorte « à l'ancienne », avec beaucoup plus de spontanéité et peut-être d'instinct. On relèvera qu'Eddie Vedder a recruté pour son groupe l'équipe en charge de son album solo de 2022 : le producteur Andrew Watt et le musicien polyvalent Josh Klinghoffer. Il faut croire qu'il a été enchanté de son travail avec eux et qu'il a voulu prolonger l'expérience. Quoi qu'il en soit, ça a l'air d'avoir bien collé aussi avec le reste du groupe, tellement bien collé d'ailleurs qu'il a été manifestement jugé que l'apport créatif d'Andrew Watt était assez important pour mériter une place dans les crédits d'écriture des chansons, au même titre que les membres de Pearl Jam. C'est une première, si je ne me trompe pas.

À l'écoute, Dark Matter se révèle être un très bon cru. Il apparaît cohérent, concentré et compact. Ce n'est pas tellement qu'il soit particulièrement court (pour comparer, dix minutes de moins que Gigaton, dix minutes de plus que Backspacer, environ la même durée que Lightning Bolt), mais il ne s'égare jamais, ne se dilue pas, ce qui le fait peut-être apparaître pour plus direct, plus à propos, plus concis, plus bref.

Les ambiances énergiques et énervées sont en majorité. Les guitares sont particulièrement en feu, que ce soit en solo ou en rythmique, et de même la batterie se repose rarement. Ainsi Scared of Fear propose une introduction pleine de punch pour cet album, avec un tempo soutenu et tout le monde semble au taquet. Dark Matter est généreux en guitares lourdes, avec une belle pulsation générale et un refrain puissant. React, Respond et Running maintiennent la tension, avec à nouveau guitares et batterie en première ligne. et si quelques morceaux semblent plus calmes au début, ils finissent souvent par décoller autant que les autres, gagnant en intensité et en hargne avant la fin (Wreckage, Won't Tell, Got To Give). De fait, il n'y a – je pense – qu'une seule vraie chanson lente sur le disque : Upper Hand, une ballade dépressive un peu poisseuse. Particulièrement remarquée, Waiting for Stevie, malgré son titre un peu nul, et son air de chanson assemblée à partir de fragments d'autre chansons, voit percer derrière un propos musical difficile à suivre une batterie hystérique et un solo final dantesque pour Mike McCready. Enfin, Setting Sun, avec pour la première fois ici des couleurs clairement acoustiques, constitue une jolie conclusion à l'album.

Une chose est certaine, Andrew Watt a réussi à capter les musiciens de Pearl Jam au meilleur de leur potentiel actuel, à leur insuffler un réel tonus qui fait du bien, ce qui manquait certainement un peu dans leurs dernières productions. On a parlé, à propos de ce disque, d'un retour en forme, quasiment d'un retour aux sources. Je ne suis pas vraiment de cet avis ; rien ici ne sonne vraiment comme Ten ou Vitalogy. Cependant, l'énergie (communicative) déployée donne à tout le monde un réel coup de jeune, une fraîcheur qui, elle, rappelle celle du groupe de Seattle à ses débuts. Là, oui, je comprends alors les rapprochements nostalgiques que cet album peut susciter.

C'est un album avec beaucoup de guitares, une batterie très motivée aussi, un chanteur qui tient toujours la route et donne de la voix,... mais une production contestable. Alors, ça va fort, ça ne choque pas avec le ton du disque ou le style du groupe, mais tous les instruments sont entassés les uns sur les autres dans un bloc épais d'où sont absentes toute subtilité ou nuance dynamique. D'ailleurs, c'est un son qui n'est pas sans rappeler celui du dernier album solo de Vedder concocté par la même équipe. Il semblerait que la course à la « loudness » et la compression, vilipendées par les mélomanes attentifs, ait encore de beaux jours devant elle. Dommage...

En résumé, Dark Matter est une plus qu'intéressante nouvelle pierre à l'édifice de la discographie du groupe (ou peut-être devrais-je dire une nouvelle chemise à carreaux en flanelle dans leur garde-robe). Il est percutant, enthousiasmant et avec un son atroce. Après plus de trente ans de carrière, Pearl Jam n'a peut-être pas encore tout dit et on est impatient de découvrir où cela va nous mener. Bon, je parle d'avenir ici parce que c'était mon sentiment au moment de découvrir l'album l'année dernière, mais à l'heure d'écrire ces lignes, on sait à présent que le batteur Matt Cameron vient d'annoncer sa décision de quitter le groupe. De quoi cet avenir sera fait dorénavant est plus que flou. Heureusement, on peut toujours écouter Dark Matter.

C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écoutez de la musique.

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